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Il y a le cercle du commentateur aveugle, qui arrive, vers cinq heures du soir, du lointain Sidi Bol Abbès, une petite gaule d’une main, en s’appuyant sur l’épaule de l’enfant qui voit pour lui. Au pied d’une haute muraille nue, devant laquelle se tient, chaque matin, le marché aux pigeons, ses auditeurs accroupis, immobiles et silencieux, l’écoutent commenter un passage du Coran ou les traditions du Prophète, d’une voix monotone, toujours pareille à elle-même, comme les lettres d’un alphabet, sans s’arrêter une seconde, ni faire un autre mouvement que remuer, du haut en bas, avec une autorité mécanique, la petite baguette dont il s’accompagne en marchant, et qui semble le conduire dans ses explications comme elle le conduit dans la rue.

Il y a le cercle de Belrouth « la Puce, » surnom qui exprime à merveille tout ce qu’il y a de mobile, de rapide, de piquant, d’insaisissable, dans cet incomparable comique. Le ventre déjà un peu lourd sous un jersey de coton blanc, un étroit caleçon de couleur qui s’arrête à mi-cuisses, les jambes nues et spirituelles, une chéchia pointue sur la tête comme un serviteur du Sultan, l’œil d’une merveilleuse malice, la barbe poivre et sel d’un homme qui aurait oublié de se raser depuis quatre ou cinq jours, tel apparaît Belrouth, comédien, mime surtout, dont les expressions de visage, d’une variété infinie, et jamais grimaçantes, sont de l’art le plus parfait. Quand il ne rit pas, on sourit ; quand il sourit, on rit ; quand il rit, on éclate ; quand il pleure, c’est du délire ! Dans cette ville où les mendiants pullulent, avec des tares d’une hideur incroyable, il a l’art de découvrir, chaque jour, un mendiant plus extraordinaire que les autres. Il le présente à son public, trouve le moyen de le faire plaindre et de rire de lui tout ensemble, appelle sur son infortune la miséricorde d’Allah, et place la représentation sous le patronage du malheureux qui, tout le long de la séance, reste là, accroupi dans ses haillons, entre les babouches du farceur et son orchestre de tambourins, exposé aux yeux de tous avec ses plaies, ses bosses, ses ulcères, sa folie, ses yeux perdus, et jetant par sa présence, au milieu de scènes comiques d’une paillardise énorme, une note d’horreur qui n’étonne personne, mais qui parfois m’a forcé, bien à regret, je l’avoue, de m’écarter du spectacle.

Il y a le cercle des danseurs chleuhs, petits garçons ou