Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa tête aux longs cheveux épars, pendant que les tambourins s’exaspèrent et que les bêtes, dressées sur leur queue, suivent ses gestes frénétiques d’un lent mouvement imperceptible, souverainement orgueilleux, de leur tête plate et gonflée. C’est une cérémonie sacrée, avec vingt péripéties, dont je ne saisis que le dehors qui se déroule ainsi devant moi. A tout moment, le magicien laisse là ses reptiles, pour s’intéresser aux secrets d’un homme ou d’une femme qui sort de l’auditoire, s’accroupit devant lui et murmure sa confidence. Enfin, dernier acte du drame, le furieux mord le serpent et mord ensuite son client, ou bien saisissant le cobra, il le lui place dans les mains, puis sur le cou, comme un foulard glacé, puis sur la poitrine, entre le burnous et la peau, et l’abandonne là ; tandis que, dans le délire des tambourins déchaînés et de tout le cercle qui prie, les paumes étendues, il se démène, vocifère et, couvre son patient d’une bave magique, qui mousse en abondance à ses lèvres.

Il y a le cercle de celui qui arrive à cheval au milieu d’un public déjà rassemblé par un compère, et qui du haut de sa bête efflanquée, marquée sur son poitrail blanc d’une main de Fatma peinte au henné, se met à faire un discours. Que dit-il du haut de sa bête ? Ma foi, je n’en sais rien. Mais je le vois tout à coup sauter à bas de son cheval ; et comme pris d’un furieux délire, — ou plutôt d’un extraordinaire appétit, — se précipiter sur un sac plein d’herbe et de paille hachée, attaché au cou de sa monture, le vider sur le sol, triturer l’herbe et la paille, et convoquant tous les saints de l’Islam au festin qu’il prépare, avaler le tout (je l’ai vu) à l’admiration du public et à la consternation du cheval qui, la tête penchée sur son maître, regarde avec mélancolie ce picotin si inutilement gaspillé.

Il y a les cercles des conteurs, toujours élégamment vêtus, qui débitent d’interminables poèmes, en frappant à intervalles réguliers deux ou trois coups nerveux sur un petit tambourin, pour bien scander le rythme et réveiller les esprits. Les longs gestes des doigts, de la main et des bras, les altitudes du corps si parfaitement élégantes, les longs glissements sur les pieds nus ou le passage balancé d’un pied sur l’autre, toute cette mimique est fixée par une caïda séculaire, comme dans une figure de ballet. Et les fureurs voisines du charmeur de serpents ne gênent ni les auditeurs, ni le protagoniste de ce divertissement raffiné et, ma foi, tout académique.