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bonheur qui se répète ainsi autour d’eux inlassablement tous les soirs.

Alors je redescends dans la profondeur du palais, avec cette vague inquiétude que laisse ordinairement le spectacle d’une excessive beauté. En bas, les patios encore tièdes, les jardins parfumés, remplis d’une ombre presque triste, les cours de marbre vides et leurs jets d’eau qui montent pour personne, les verdures prisonnières, et toutes ces fleurs peintes qui semblent sourire à des visages absents. Après les magnificences de là-haut, c’est un repos, presque un soulagement, de se retrouver maintenant au milieu de ces gracieux enclos, de se ressaisir soi-même, de se sentir peu à peu libéré de l’accablant esclavage que la nature grandiose d’ici impose brutalement à l’esprit, dès qu’on a mis le pied hors de ces endroits fermés. Un palais comme celui-ci, c’est une prison peut-être, mais une prison qui délivre. Le regard n’y rencontre que choses menues et parfaites, où tout est artifice et pure création de l’esprit.

Ces portes décorées de fleurs qui ne sont pas des fleurs, d’étoiles qui ne sont pas des étoiles et qui ont des couleurs d’oiseaux de paradis, ces jardins qui ne sont pas des jardins, ces lignes qui s’emmêlent avec une souplesse et une liberté sans fin, tout cet irréel précieux qui n’emprunte rien, ou presque rien, à la réalité des choses et ne parait avoir d’autre objet que lui-même, me découvre mieux à présent sa nécessité profonde, si bien cachée sous sa grâce… O sagesse de l’art arabe qui renonce délibérément à suivre servilement la nature dans son tumulte et sa diversité, et qui pour exprimer la beauté mouvante des choses, a inventé l’arabesque, ce flexible dessin, cette géométrie sans loi, ce pur caprice où l’imagination se joue avec la même aisance que, là-haut, tout à l’heure, les émouchets passaient et repassaient dans l’éclat changeant du soir !


II. — LA PLACE FOLLE

Dès que j’ai mis le pied hors de ce précieux palais, c’est l’infinie monotonie de la brique, de la boue séchée, le labyrinthe des murs ruineux, gonflés de ventres énormes, fendus d’inquiétantes lézardes, ravinés à leur base par le torrent invisible du temps, et qui tiennent debout par miracle.

Un dédale inextricable de ruelles, d’impasses, de longs