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Demeures qui brillez dans ces vallons,
Vous n’êtes plus peuplées.
Vous ne formez plus qu’un désert,
Dans lequel les oiseaux gémissent de tous côtés,
Cessant parfois leurs plaintes
Pour les reprendre aussitôt.
J’ai interrogé un de ces oiseaux
Qui, le cœur rempli de chagrin et de terreur,
Se tenait à l’écart.
Pourquoi, lui ai-je dit, gémis-tu et te plains-tu ?
— Parce que, me répondit-il, le temps heureux a fui
Et ne reviendra plus.

Autour de moi, c’est le complet silence ; l’immense ville semble aussi déserte que le palais d’EI Mansour. Rien que les cris des émouchets qui continuent leurs jeux. Et comme le soir vient, de tous les points de l’horizon accourent de grands vols d’ibis blancs, qui vont se rassembler pour la nuit dans les jardins du Sultan, au bord de deux grands miroirs d’eau, où le reflet des cimes neigeuses de l’Atlas se mêle au reflet des oliviers. Ils passent au-dessus de ma tête, pareils à des pensées heureuses, et le battement de leurs ailes donne presque l’illusion d’un souffle d’éventail sur la joue. Pour la fête du crépuscule, les petites collines charmantes se revêtent chacune d’une robe de soie différente, rose, mauve, bleue, violette, amaranthe. La grande plaine, au pied de l’Atlas, est déjà envahie de teintes bleuâtres et glacées, mais les cimes reçoivent encore l’étincelant adieu du jour. La ville entière prend la couleur de ces gâteaux de miel, dont elle offre déjà l’image avec ses milliers d’alvéoles. La haute Koutoubia rougeoie, comme éclairée par une flamme intérieure. Du côté du couchant, sur le fond doré du ciel, les palmiers semblent jaillir d’un désert de sable aérien. Dans ce vaste espace de lumière, borné d’un côté par des neiges et de l’autre par du feu, tout se transforme de seconde en seconde, s’avive, se dépasse en éclat, multiplie les couleurs et les feux d’artifice, puis s’apaise, s’éteint : la montagne devient morte et sombre ; les petites collines ne semblent plus que des tas de cendres laissés par le grand incendie du soir, et à leur pied, les tuiles vertes, maintenant sans reflets, de Sidi-Bel-Abbès font monter au cœur la tristesse de penser qu’autour de ces murailles, des milliers de regards éteints sont exilés de ce