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prestige ; il a tué la légende de son oncle… Pourquoi alors ne pas faire un appel au peuple ? Le bonapartisme serait détruit d’un coup et pour toujours. La légitimité l’est déjà. Ne resteraient plus dans la lice que la république et la monarchie constitutionnelle et le différend serait vite vide ; notre pays serait vraiment pacifié…

Mon cœur se soulève de dégoût lorsque je lis certains noms au bas de certaines injures et que je vois si empressés au reniement ceux qui étaient si empressés à l’adulation. Pour les hommes politiques aussi il devrait y avoir une pudeur, et on devrait chasser de tous les lieux honnêtes ceux qui se montrent si impitoyables envers les souverains malheureux dont ils ont naguère sollicité les faveurs et les sourires. Pour mon compte, je me sens maintenant disposé à toutes les indulgences : quelles que soient leurs imperfections ou leurs erreurs, ils sont tellement supérieurs à tous ceux qui les ont suivis ! Quant à la république, il faut être aveugle pour ne pas voir qu’elle n’aura qu’un effet : l’organisation du socialisme, la dépravation des villes atteignant celle des campagnes, les haines sociales, les appétits déchaînés, des sécurités malfaisantes, des halles dangereuses, des trêves perfides, l’instabilité, l’illusion ! Nous en viendrons à la lu Ile du riche et du pauvre comme au temps des Gracques et de Marius.

Pardonnez-moi cette digression. Je m’oublie. Je veux réprimer les mouvements de ma nature indomptée et défendre à mon âme bien souvent bondissante de s’échapper jusqu’à l’heure et au jour où Dieu lui dira : Parle ! ou plutôt rugis sur ces aveugles, sur ces félons, sur ces amollis ! Oh ! qu’alors je lâcherai, comme un torrent aussi véhément que celui sorti des lèvres de Job, les flots que je contiens et qui s’accumulent en silence ! Mais venons à des pensées plus douces. Quel que soit l’avenir, il est inutile de le devancer et de s’en tourmenter. Il y a dans l’Imitation une belle page sur ce sujet : « A quoi sert de vous inquiéter de ce qui doit arriver, si ce n’est qu’à vous causer tristesse sur tristesse ? A chaque jour suffit son mal. Il est vain de se troubler de choses futures qui, peut-être, n’arriveront jamais… » L’équivalent de ces paroles se trouve dans le Florentin Guicciardini : « La sagesse trop inquiète de l’avenir est blâmable, car les choses du monde sont soumises à des