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associations. J’ajoute aussitôt que ces règles doivent être telles qu’en protégeant l’intérêt social de la circulation des biens, elles rendent facile, et dans tous les cas possible, la faculté de posséder et d’acquérir, sans laquelle la séparation absolue, c’est-à-dire avec la suppression du budget des cultes, serait pour l’Église la persécution et non la liberté. Or, s’il est des penseurs pour lesquels la séparation n’est qu’un moyen de détruire la religion, pour d’autres elle n’est que le moyen de l’ennoblir, de la rendre plus agissante, plus aimable et plus bienfaisante. Je suis de ces derniers, car je demeure de plus en plus convaincu que supprimer la religion dans notre monde de fragilité, ce serait, dans l’atmosphère morale, comme si, dans l’atmosphère matérielle, on éteignait tout à coup le soleil. Toute lumière, toute chaleur, toute beauté, toute espérance, toute consolation et toute résignation disparaîtraient, et nous laissât-on Vénus et même Saturne, leur scintillement, quelque brillant qu’il semble au rêveur, ne rappellerait, ni pour lui ni pour les êtres humains, l’action du Père de la Vie, comme dit Bossuet.


A Jean Wallon.

18 octobre 1871.

Mon cher Wallon,

J’enverrai votre livre[1] au Prince (Napoléon). Je l’ai lu avec un vif intérêt. Comme tout ce que vous faites, c’est noble, chaleureux, éloquent, nourri de faits, très instructif. Dans ce moment je ne suis pas à ce diapason. Je trouve les catholiques libéraux, les révolutionnaires et surtout les Gallicans, si plats et si laids que je ne puis me courroucer contre les Jésuites. Une telle grandeur morale m’apparait dans ce vieillard du Vatican, livré, trahi, bafoué, que je ne puis plus critiquer le Syllabus. Les Dœllinger et autres, qui profitent du moment de l’adversité, du reniement, de l’accablement, pour se révolter, m’inspirent un sentiment invincible de tristesse et d’éloignement : et, somme toute, je suis bien plus près d’être ultramontain que vieux-catholique ou franc-maçon. Le Pape maintenant, dans sa détresse héroïque, me parait le

  1. Dirigé contre le Pape, le Syllabus et les Jésuites.