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A Monsieur Nothomb, à Bruxelles.

28 septembre 1871.

Monsieur,

Vous désirez connaître mon opinion sur le droit d’acquérir et de posséder, à accorder éventuellement aux cultes, en cas de la séparation absolue de l’Église et de l’État ? Je vais m’efforcer de vous satisfaire.

Quel est le fond de la doctrine qui sépare l’État de l’Eglise ? Cette idée : l’État est incompétent pour statuer sur les choses religieuses ; elles sont au-delà et au-dessus de sa compréhension aussi bien que de sa sphère d’action ; elles échappent à sa prise, elles se gouvernent elles-mêmes sous l’œil de Dieu et par son inspiration ; les cultes n’entrent dans la compétence de l’État qu’autant que, descendus de leur spiritualité dogmatique, ils empruntent pour se manifester les institutions sociales communes ; la propriété, le testament, l’achat, l’association. L’État doit alors s’occuper d’eux, mais uniquement pour leur assurer le bénéfice et leur imposer le frein des règles communes à tous les citoyens. Dans la théorie qui unit l’Eglise à l’État, la législation de l’Eglise est spéciale ; elle crée des droits privilégiés compensés par les servitudes, telles que la censure préalable ou le placet royal. Dans la théorie qui sépare l’Eglise de l’État, il n’y a qu’une législation générale dont l’Eglise doit supporter les exigences, mais aussi invoquer les libertés.

Ainsi le mariage doit-il être civil ? La théorie qui associe l’Eglise à l’État répond oui ou non, selon que, dans l’union, la force est à l’Eglise ou à l’État. La théorie de la séparation répond : Cela ne me regarde pas ; l’État n’attribue les effets civils qu’aux mariages qu’il a constatés (car ce n’est pas l’État qui crée le mariage : pour les jurisconsultes, c’est le consensus ; pour les croyants, c’est le sacrement). Du reste libre à chacun de se mariera l’église avant d’aller à la mairie, ou même après y être allé ou même de ne se marier qu’à l’église.

De ces prémisses découle la réponse à la question que vous me posez. Oui, dans la théorie de la séparation absolue, les cultes doivent avoir la faculté d’acquérir et de posséder, à la condition de se soumettre aux règles de droit commun qui constituent la législation générale, soit des individus, soit des