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être le bouc émissaire d’Israël. Je n’ai rien à me reprocher, j’en ai la conscience, je suis calme ; le jugement des autres m’importe peu et je puis attendre. Je demande à mes amis d’avoir, en ce qui me concerne, la même philosophie et de ne pas se fatiguer à me défendre. Le temps, qui est galant’ uomo, s’en chargera.

Je comprends la répulsion que vous inspirent mes idées. Autant que vous, je déteste la guerre ; mais comme je suis persuadé que la France est finie, si elle ne se relève pas militairement, et comme je suis sûr qu’elle le peut, je ne comprends pas d’autre politique que celle de la revanche. Il vaut mieux s’exposer à périr que de végéter dans la boue. Et nous ne périrons pas !


A la Comtesse de Magnac.

20 juin 1871.

Chère amie,

On félicitait Michel-Ange de la naissance d’un neveu. Il répondit : « Lorsqu’un homme naît, il faut pleurer, ce n’est que lorsqu’il meurt après avoir bien vécu qu’il faut se réjouir. » Je pense ainsi. La naissance de mon fils me préoccupe donc plus qu’elle ne me réjouit. Ces jours-ci, il est un peu souffrant. Il me serait dur cependant de perdre cet enfant de mes heures d’affliction, cet enfant de la terre étrangère. Qu’il soit fait selon ce qui est écrit, car plus que jamais, c’est en Dieu que je place et ma paix et mon espérance.

Il se peut que parmi les personnes réellement intelligentes, je ne sois plus attaqué, mais comme elles sont peu nombreuses, je reste pour la multitude l’objet de l’exécration et pendant de longues années, si ce n’est toujours, ma vie sera toute de retraite, d’obscurité. Mais vous savez mieux que personne qu’il n’y a là rien qui me soit effrayant. Thérèse m’aidera à passer ces années de vie intérieure comme elle m’a aidé à traverser ces mois de douleur, et mes amis aussi me seront fidèles, et tant pis pour ceux ou celles qui ne le seront pas. Daniel est avec moi, ainsi que mon père. Il se porte bien, travaille bien, quoiqu’il soit passionnément joueur. Il est ouvert, intelligent. J’espère en janvier lui mettre un Virgile en main.

Ma maison de Passy est souillée, mais sauvée. La Commune