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Puisque l’Empire allemand était renversé, et qu’à l’égard des tiers, il n’en pouvait subsister plus en fait qu’il n’en avait jamais existé en droit, nous aurions dû réclamer au moins le retour au statu quo d’avant le mois de janvier 1871. Nous aurions dû retrouver dans la Galerie des Glaces tous les personnages connus, y rassembler les successeurs de tous les protagonistes, acteurs et figurants de la double tragédie, regarder s’y refléter, derrière le visage défait de l’Empire allemand, les visages divers et multiples de toutes les Allemagnes. C’eût été le symbole du travail accompli, le signe durable de la victoire, la preuve que nous tenions finalement la paix française. Toutes les Allemagnes à Versailles, et notre frontière militaire au Rhin, c’étaient les deux conditions de notre sécurité permanente. Une grande occasion a été perdue : nous ne les avons pas. A leur place, nous avons une promesse d’alliance britannique et une promesse d’alliance américaine. Gardons-nous d’en médire ou seulement de ne point les estimer à tout leur prix. Néanmoins il suffit que telle soit en dernière analyse la garantie qui nous est accordée pour qu’on puisse dire avec raison, comme quelqu’un nous l’a dit, que nous avons moins une paix française qu’une paix anglo-saxonne.

Le mot est vrai, il pourrait paraître sévère; aussi voudrions-nous que tout le monde comprit bien dans quel sentiment nous le répétons. Nous ne nous plaignons pas, — ce serait trop absurde! — tout à l’opposé, nous nous réjouissons de ce supplément de force qui nous vient, nous viendra ou nous viendrait d’amis, d’alliés ou d’associés, éprouvés au feu des communes batailles, si ce n’est qu’un supplément, et si, en même temps que nous nous reposerons sur eux, nous ne cessons de veiller nous-mêmes, pro parte virili. Il n’est pas douteux que l’Allemagne (puisqu’il y a toujours une Allemagne), si elle sait que la Grande-Bretagne et les États-Unis sont résolus et engagés à nous détendre, y regardera, non à deux fois, mais à dix fois ou à cent fois avant de nous attaquer. De là comme un cercle d’intangibilité tracé à une certaine distance autour de nous, et, de notre côté (je reprends l’expression que j’employais l’autre jour), une formidable puissance d’intimidation, d’inhibition, de pression et de contrainte morale. Pourtant, faisons une hypothèse. Admettons que l’Allemagne, avec un cynisme qui n’est pas sans exemple dans son histoire, étouffe cette impression de terreur relative, se rassure par la pensée que les États-Unis et même l’Angleterre sont plus loin du Rhin qu’elle ne l’est de Paris, que certainement elles arriveront, mais qu’en attendant qu’elles arrivent elle a le temps de réussir son mauvais coup : la conclusion