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à l’université de Marbourg. Celui-ci, les bras allongés sur la table, les mains croisées, la tête penchée, semble particulièrement accablé.

Le Livre de la Paix est un fort volume in-quarto, de plus de 400 pages, recouvert d’une reliure blanche, qui porte ce double titre : Conditions de paix ; Conditions of peace. Ayant reçu de M. Dutasta, ambassadeur de France à Berne, secrétaire général de la Conférence, l’exemplaire destiné à la délégation allemande, le comte de Brockdorff-Rantzau place cet exemplaire devant lui, sans l’ouvrir, et pose, d’un mouvement sec, ses gants sur la couverture blanche. Ensuite, d’un geste lent, il lève la main droite, deux doigts en l’air, faisant signe qu’il veut parler. Le président Clemenceau lui donne aussitôt la parole. Le chef de la délégation d’Empire entreprend de lire tout haut, en allemand, un papier dactylographié, pour lequel il ajuste sur ses yeux une paire de grosses lunettes à monture d’écaille. On remarque qu’il parle assis, comme si Son Excellence était hors d’état de disposer de toutes ses forces physiques. Quoi qu’il en soit, son discours est prononcé d’une voix sourde et comme lointaine, sur un ton distant, avec une froideur et une monotonie d’élocution qui ne seraient pas autres s’il s’agissait d’obtenir, de la part d’un tribunal respecté, le maximum d’antipathie.

Cette déclaration officielle, soigneusement rédigée en style convenu, en formules dépourvues d’action persuasive, s’annonce, tout de suite, comme une formalité diplomatique. Si M. de Brockdorff-Rantzau, en restant jusqu’au bout diplomate allemand, à la manière d’un Jagow ou d’un Bernstorff, a voulu déplaire aux plénipotentiaires des Puissances alliées, notamment aux représentants de l’Amérique et de l’Angleterre, à M. Wilson, à M. Lloyd George, à M. Balfour, on doit dire qu’il a parfaitement réussi dans ce dessein. L’impression générale est nettement défavorable. Il s’arrête, après ses premières phrases, pour laisser à deux interprètes, placés derrière lui, le temps de traduire en français et en anglais son exorde. « On n’entend rien ! » observe M. Clemenceau, prêtant vainement l’oreille à une version française qui manque de clarté. Et M. Clemenceau ajoute : « Que l’interprète vienne auprès du bureau ! » Les deux collaborateurs du comte de Brockdorff-Rantzau obéissent à cette invitation, et sont guidés vers leur nouvelle place par le secrétaire général de la Conférence. Alors, se tenant debout, devant le bureau où siègent Mme Clemenceau, Wilson et Lloyd George, ils vont translater, phrase par phrase, le discours de leur chef. C’est d’abord un aveu de défaite, la reconnaissance solennelle de la victoire de la France et