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immuable, où sont promulguées les lois à jamais acquises d’une science à jamais fixée. Et il faut bien qu’il en soit ainsi, et qu’à chaque moment de la guerre, tous les rouages de l’immense machine, tous les organes de l’immense organisme qu’est une armée, jouent à la fois et sans heurt ; qu’il y ait entre eux tous accord, cohésion, harmonie ; que de tant de techniques se compose une seule technique, de tant de doctrines une seule doctrine. Et pourtant, à chaque moment de la guerre, le grand chef qui impose à l’armée entière l’unité nécessaire de sa pensée et de son vouloir, qui impose à la guerre elle-même comme l’unité d’un style, et pareillement ceux-là qui enseignent sa doctrine dans les centres d’instruction, et pareillement ceux-là qui la pratiquent au combat, tous savent que les règles dont elle est faite sont pour la plupart provisoires et éphémères, puisqu’il suffira d’un engin nouveau, d’un procédé tactique nouveau, imaginé le lendemain par l’ennemi ou par nous-mêmes, pour que croule soudain tout un pan du système… Et sans cesse il faudra que la France inventive invente à nouveau, retrempe son glaive.

L’ennemi est habile à observer ce travail d’invention, et à l’exploiter. Et la réciproque est vraie. Par les interrogatoires de prisonniers, par les papiers capturés, par la photographie aérienne, surtout par les révélations des combats eux-mêmes, les armées adverses se pénètrent intellectuellement, se tiennent au courant, presque au jour le jour, de leurs progrès respectifs. De là, dans ces progrès, un parallélisme, parfois un synchronisme, singuliers. Quand on lit, par exemple, un beau document tombé entre nos mains, les Enseignements tirés de la bataille de la Somme par la 2e armée allemande, que rédigea le général Fritz von Dolow, on y reconnaît souvent[1] les soucis qui étaient les nôtres à la même date, on y trouve la discussion des mêmes problèmes que nous discutions alors, l’acheminement vers des solutions semblables. Des deux armées, laquelle a le plus inventé ? Laquelle a le plus imité ? Quoi qu’il en soit, la France aura toujours su répondre à l’idée par l’idée, à la découverte par la découverte, et c’est pourquoi la plupart de ses alliés prirent peu à peu l’habitude de lui demander des techniciens, des instructeurs. Par-là, l’armée française n’aura

  1. Voir notamment les paragraphes 94 à 98, le paragraphe 153.