Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à celles d’une « paire de jarretières ; » c’était enfin favoriser la réalisation de ses rêves anciens de suprématie germanique, et avancer peut-être d’un quart de siècle son œuvre de 1866. Sur ce point, l’ardeur sincère que ses ministres mettaient à préférer la Saxe au Rhin représentait pour un adversaire clairvoyant la plus instructive des contre-indications.

Cet inconvénient du moins n’aurait-il pas été compensé par la sécurité qu’eût donnée à la France la constitution sur ses frontières du Nord-Est d’un État-tampon destiné à se mouvoir dans son orbite ? Le sort du Luxembourg, et même, de la Belgique, dans la dernière guerre, vient de montrer quels faibles obstacles des créations de ce genre peuvent opposer à l’offensive déterminée d’une puissance envahissante. Il ne faut pas oublier d’autre part que Talleyrand avait pris la précaution d’empêcher toute contiguïté immédiate entre les territoires de la France et de la Prusse ; c’est un fait trop peu connu, et qui resterait oublié, si lui-même ne l’avait pas relevé, qu’ils ne sont devenus limitrophes que par le second traité de Paris (20 novembre 1815) : d’après l’acte final du Congrès de Vienne, ils devaient être séparés par une zone rectangulaire de terrain, étendue entre Sarrebrück et Trêves sur la rive droite de la Sarre, peuplée de 70 000 âmes et dévolue à l’Autriche pour compléter les dédommagements promis à certains princes allemands. En toute impartialité, la politique suivie sur ce point par Talleyrand semble donc, avant d’être justifiée par l’avenir, avoir répondu à la fois à la logique de sa situation et aux intérêts de son pays.

Après avoir tracé les frontières des divers États allemands, il restait à leur donner une organisation commune. Ce fut le rôle d’une commission spéciale, dont les travaux remplirent les dernières semaines du Congrès. À l’heure actuelle, son œuvre n’est plus qu’un souvenir, mais conserve pourtant cet intérêt d’avoir représenté, dans un cadre restreint et avec des peuples de même râpe, un essai de « Société des Nations, » c’est-à-dire une tentative pour unir des souverainetés distinctes en un seul corps politique, au moyen d’obligations et de garanties réciproques. Selon que l’on avait surtout en vue les intérêts communs du corps germanique ou les intérêts particuliers de ses membres, on pouvait le reconstituer d’après deux types, que les théoriciens du droit public désignaient par les appellations de Staatenbund (Confédération d’Etats) ou de Bundesstaat