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que Castlereagh court exhaler son indignation chez son collègue de France, auquel il déclare fièrement que l’Angleterre ne recevra de lois de personne. Saisissant avec empressement une occasion attendue avec impatience, ce dernier lui persuade qu’une alliance de leurs deux pays avec l’Autriche rabattra promptement les prétentions russo-prussiennes : le projet en est aussitôt dressé, soumis à l’approbation de Metternich, augmenté d’une clause qui oblige les puissances contractantes à mettre 150 000 hommes au service de la cause commune, et transformé le 3 janvier 1815 en traité définitif.

Aussitôt après y avoir apposé sa signature, Talleyrand laissa éclater sa joie dans une lettre où il en expliquait au Roi les avantages : « Maintenant, Sire, s’écriait-il, la coalition est dissoute, et elle l’est pour toujours ; non seulement Votre Majesté n’est plus isolée en Europe, mais Elle a déjà un système fédératif tel que cinquante ans de négociations ne sembleraient pas pouvoir parvenir à le lui donner. Elle marche de concert avec deux des grandes puissances… Elle sera bientôt le chef et l’âme de cette union formée pour la défense des principes qu’elle a été la première à proclamer. » Pour apprécier si ce chant de triomphe était justifié, il suffit de s’imaginer un instant quelle impression profonde produirait actuellement en Europe une alliance de l’Allemagne écrasée avec l’une des Puissances de l’Entente contre les autres. Lors de l’ouverture du Congrès, la France se trouvait isolée, traitée en vaincue, presque en pestiférée ; Talleyrand avait réussi, non seulement à forcer le blocus diplomatique formé autour d’elle, mais à dissocier la coalition sous laquelle elle avait succombé. Ce résultat faisait ressortir, en même temps que son habileté, les maladresses et les fautes auxquelles il en était redevable. Pour ne rien vouloir céder de leurs prétentions respectives, ses partenaires au Congrès n’avaient pu l’empêcher de profiter de leurs discordes et de les opposer les uns aux autres ; aggravant leur imprudence par leur irrésolution, ils avaient compté sur le temps pour résoudre des questions qui exigeaient une action énergique et de prompts sacrifices. L’égoïsme de leurs convoitises et les atermoiements de leur politique portaient les fruits qu’on en pouvait attendre : trois mois après avoir proclamé l’éternité de leur union, ils se voyaient acculés à un conflit ouvert et conduits à deux doigts d’une guerre entre alliés