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affaires humaines ; mais on peut en trouver des causes plus immédiates dans l’insuffisance de ses méthodes de travail, — dans l’influence de certaines personnalités dominantes, — et enfin dans les dissentiments profonds des grandes Puissances.

La première de ces faiblesses tenait à la composition même du Congrès. Comme il avait pour objet de réviser tous les changements survenus en Europe pendant vingt ans de bouleversements, tous les États étaient intéressés à ses décisions et s’y étaient fait représenter : les plus puissants par leurs souverains en personne ou leurs premiers ministres, les plus petits par un plénipotentiaire commun à plusieurs. Au total les missions des maisons souveraines comprenaient 90 membres, celles des médiatisés allemands, 53 : et ce chiffre, déjà si élevé, ne comprenait pas les nombreux avocats officieux des princes dépossédés, dont la présence faisait comparer Vienne à « une espèce de port franc où l’on accordait entrée libre à toutes les maisons qui avaient fait faillite. »

Paralysés d’abord par leur nombre, les membres du Congrès l’étaient également par l’étendue du programme soumis à leurs délibérations. Ils n’avaient point seulement à soutenir des revendications particulières, mais à résoudre des questions de droit public ou parfois d’ordre humanitaire, telles que celle de la traite des noirs, soulevée par l’Angleterre. Plusieurs d’entre eux les abordaient sans la liberté d’esprit nécessaire pour les résoudre, se trouvant liés par un véritable mandat impératif, représenté en l’espèce par des traités particuliers passés en 1813 entre la Prusse, la Russie, l’Autriche, la Bavière, et le Wuremberg, coalisés contre Napoléon. Les arrangements territoriaux que préjugeaient ces accords conserveraient-ils leur valeur lorsque le moment serait venu de procéder au remaniement général de la carte de l’Europe ? Ce point soulevait les mêmes controverses que plus tard à la Conférence de Paris les conventions conclues en 1915 et 1916 pour l’attribution des côtes de l’Adriatique ou le partage de l’Asie-Mineure en zones d’influence.

Cette complexité d’intérêts et de composition rendait fort malaisée la tâche du Congrès, lorsqu’il eut à régler la procédure de ses travaux. Tous les États représentés, auraient-ils, comme semblait l’exiger le droit public, une part égale à ses délibérations ? C’eût été introduire la confusion dans ses