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Lorsque les souverains de Prusse et de Russie rentrèrent en vainqueurs dans leurs capitales, après la campagne, ils y trouvèrent un accueil dont la froideur fut attribuée à leur faiblesse envers la France. Quelques semaines après, quand leurs ministres se rendirent à Vienne, ils recueillirent sur leur passage à travers l’Allemagne les mêmes marques de désapprobation. On ne leur pardonnait pas d’avoir compromis par leurs ménagements la victoire que les militaires avaient gagnée par leur valeur, et de laisser debout la puissance qu’ils auraient dû abattre et enchaîner pour toujours.


II


L’ouverture du Congrès avait été primitivement fixée au 1er juillet 1814 ; des ajournements successifs en firent retarder la convocation jusqu’au 1er octobre. Contrairement à une thèse communément acceptée, et reprise tout récemment par la presse américaine, jamais assemblée représentative des intérêts européens ne se réunit sous de plus favorables auspices, n’éveilla de telles espérances et n’invoqua d’aussi nobles principes. Jamais les expressions de « paix durable » ou de « paix de justice » ne revinrent plus fréquemment dans les documents diplomatiques. D’autre part, l’opinion ressentait une telle lassitude de la guerre, un tel désir de voir substituer le régime du droit à celui de la force qu’elle faisait un crédit illimité aux hommes d’État investis de la mission de le fonder.

Cet élan d’optimisme général devait vile faire place à un désenchantement croissant. Le Congrès se laissa peu à peu entraîner du terrain des principes sur celui des intérêts, des projets de réorganisation générale aux disputes particulières de territoire, de la recherche des solutions définitives aux compromis temporaires ; il se sépara, alors qu’il était déjà regardé comme « une source d’embarras et d’amertume pour tout le monde, » sans laisser, au témoignage de Gentz, « aucun acte d’un caractère plus élevé, aucune grande mesure d’ordre et de salut public qui put dédommager l’humanité d’une partie de ses longues souffrances. » Comment expliquer ce contraste entre ses prétentions et ses résultats ?

La demi-faillite de son œuvre tient peut-être à ce qu’on lui demandait une perfection qui se rencontre rarement dans les