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à l’ennemi sans canons, parce que leurs canons n’avaient pas eu le temps de suivre ; cavaliers de Robillot dont le raid égalera dans l’histoire les charges de Lassale, division « la Gauloise, » accourue la première au péril, division lyonnaise qui défendit huit jours le Kemmel contre cinq divisions allemandes et se laissa engloutir tout entière dans le naufrage de la position, il est temps de rendre honneur à votre abnégation. Dans ces instants d’angoisse, vous avez permis de tenir. Au milieu des hommages qui couronnent vos frères plus heureux, notre reconnaissance ne souffre pas qu’on vous oublie. Nous vous devons le salut qu’on doit aux « braves gens. »

Sans doute, cette partie défensive de la campagne semble moins brillante que la seconde ; elle ne sera pas moins admirée de l’avenir. Ces jours terribles furent la ruine des ambitions allemandes. C’est ce que savaient tous nos soldats. C’est ce qui les soutient dans ces dures épreuves : jamais ils ne perdent courage, parce qu’ils mesurent le mal qu’ils font a l’ennemi et leur propre supériorité. Tous signeraient ces lignes sur le combat de Locre, qui terminent le journal auquel j’ai emprunté quelques pages : « 30 avril. Hier, gros succès pour nos armes. D’ores et déjà les monts sont sauvés. D’ailleurs, la grosse artillerie française rapplique. Un monde fou partout. Les routes sont noires. Une fois de plus, le Boche a manqué son coup. Les journées du 4 avril devant Moreuil, du 17 devant Breteuil, du 25 avril devant Hangard, du 29 devant Locre, sont quatre journées de victoire et nous devrions pavoiser. »

Mais cette courte et violente passe d’armes offre un autre intérêt. Elle a pesé lourdement sur la suite de la campagne. Elle intriguera les critiques. Peut-être y verront-ils, parmi les actions de la guerre, une de celles qui caractérisent le mieux la méthode des deux adversaires : d’un côté, la manœuvre allemande montée a priori, au mépris des intentions du partenaire qui ne comptent plus ; de l’autre, la parade de Foch, sa contre-manœuvre rapide, une concentration de la dernière heure qui déjoue au moment précis les desseins de l’ennemi : la lutte, en un mot, de la souplesse contre la brutalité. L’exemple demeurera classique.

Mais il y a plus. On peut se demander si cet épisode n’est pas à l’origine de la catastrophe étonnante qui, en si peu de mois, conduisit au désastre l’armée de Hindenburg. Il se peut