Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV. — LA BATAILLE DE LOCRE

La division Massenet, retardée en chemin, entrait en ligne à la nuit close, avec l’ordre de reprendre le Kommel et de délivrer les camarades qui peut-être y tenaient encore. Les Allemands, exaltés par leur avantage de la matinée et que leurs chefs stimulent sans mesure, reprenaient leur mouvement à la même heure. Les deux attaques eurent pour effet de s’annuler mutuellement. La 39e division avait pu dépasser à peine les lignes de la journée. L’attaque reprise le lendemain dans des conditions hâtives, ne donna pas de résultats. Mais l’intervention rapide de cette belle troupe en avait produit un très grand. Elle avait empêché l’ennemi de profiter de sa victoire. La progression allemande est arrêtée sur les jarrets. Il s’ensuivit deux jours d’accalmie relative dont nous sûmes profiter pour nous organiser ; à notre gauche, les Anglais eurent le temps de rectifier à loisir leurs positions en avant d’Ypres afin de les raccorder aux noires.

Mais les Allemands n’ont pas dit encore leur dernier mol. L’Empereur assistait à la prise du Kemmel : un message capturé sur un chien de liaison nous apprend sa présence. Le même jour Ludendorff a essayé de reprendre son offensive sur la Somme, et s’est fait battre. L’ennemi est donc engagé de plus belle dans le Nord, où depuis quinze jours il ne recueille que des succès. L’affaire du Kemmel ne vient-elle pas de lui rapporter à elle seule 6 000 prisonniers, 53 canons et 200 mitrailleuses ? Ce triomphe retentit dans toute l’Allemagne. Des hauteurs du Kemmel, l’Allemagne aperçoit, au-delà de l’ourlet pâle des dunes, le ciel pâle éclairé du reflet de la mer. Plus qu’un dernier obstacle à vaincre : il suffit de s’emparer de la butte du Scherpenberg pour prendre à revers la file des Monts, la tourner par le Nord, marcher sur Poporinghe, bousculer tout ce qui est au Nord d’Ypres, l’acculer en désordre à la côte. Sans relève, séance tenante, comme c’est son usage quand il veut exploiter un succès, l’ennemi pousse en avant son monde, en lui donnant juste le temps de souffler et de se renforcer encore en artillerie.

L’attaque, après une préparation qui dura toute la nuit, se déclencha le 29 avril à sept heures sur 14 kilomètres de front,