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On aurait pu le déduire presque certainement de l’étude elle-même des manœuvres de Ludendorff. Rien n’est plus contraire aux méthodes de ce joueur puissant, rien ne ressemble moins à sa « manière » et ne porte moins sa marque que ce genre d’actions divergentes et pour ainsi dire anarchiques. Ce qui le caractérise au contraire, c’est la vigueur des partis-pris et le système des masses poussé jusque à l’extrême. Les trente-quatre divisions de Hutier opposées le 21 mars aux neuf divisions de Gough, voilà un coup de Ludendorff. Ce coup est d’ailleurs parfaitement dans la doctrine de Napoléon. de tous les stratèges contemporains, Ludendorff est peut-être le plus rigoureusement classique… Il est donc bien peu vraisemblable qu’un homme de cette école placé en face de Foch qui se concentre derrière Amiens, ait répondu à cette menace par un déploiement latéral, reproduisant la faute célèbre de l’archiduc Charles à Landshut.

Le mot de l’énigme est peut-être que cette manœuvre inattendue correspond à certaines divergences de vues qui se sont produites plus d’une fois dans le commandement ennemi. L’unité de commandement, dont l’Allemagne s’est montrée si vaine, n’a été bien souvent chez elle autre chose qu’un mot. L’autorité même d’Hindenburg n’est guère qu’une façade. Elle a été difficilement acceptée par les états-majors rivaux des deux kronprinz. On assiste pendant tout le cours de la guerre à deux séries d’opérations tout à fait différentes : les unes massives, de type classique, montées en force suivant la pure doctrine de Moltke, les autres consistant en attaques alternées, dispersées selon une formule qui relève de la stratégie d’amateurs. Toute l’histoire de la guerre oscille ainsi, chez nos ennemis, entre le parti des professionnels et le parti des courtisans. Les premiers l’avaient emporté le 21 mars : pour quelques jours, Ludendorff avait obtenu carte blanche. Mais Ludendorff manqua son coup. Cet échec rendit toute sa force à la cabale des impatients. La bataille du 9 avril marque le début de ces actions capricieuses où allait s’égarer la campagne échappée des mains de Ludendorff.

Le mauvais génie des Allemands permit que cette méthode réussît, pour leur perte.

Tout les servait. Du côté des Anglais les lignes, on l’a vu, n’étaient tenues alors que par des troupes très éprouvées.