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administrées, — je n’avais pour la juger que les actes et les discours par lesquels il daignait la révéler aux simples mortels de mon espèce. Or, ni les uns ni les autres n’étaient précisément de nature à dissiper mes angoisses de Français, accrues de toutes mes nostalgies d’exilé. Je ne trouvais aucun sel à des formules telles que « trop fiers pour nous battre » ou « la paix sans victoire, » et j’arrivais encore moins à m’enthousiasmer pour des gestes comme le refus de recevoir la députation belge, aggravé par l’envoi d’un télégramme de félicitations au Kaiser, le jour anniversaire de sa précieuse naissance. J’avais beau m’évertuer, je ne me rendais pas très bien compte comment des témoignages publics de ce calibre pouvaient déceler chez le Président un état d’esprit d’avance incliné vers la cause de l’Entente. « Tâchez seulement de patienter comme lui, m’objectaient à cela les exégètes de ses intentions cachées ; laissez à la grande pulsation morale, propagée de Washington à coups imperceptibles, mais incessants, le temps de parcourir tout le système artériel si complexe de cet énorme pays ; attendez que l’Amérique des fermiers soit aussi avertie que l’Amérique des intellectuels, et vous verrez !… » Je vais voir. Mais j’ai tant aspiré à ce moment, je l’ai tant appelé, tant désiré, et il a si désespérément tardé a venir, qu’un doute, une crainte, — je dirais volontiers : une terreur, — persiste en moi qu’il ne soit pas réellement venu.

Le maillet du Speaker, cependant, s’est abattu sur la tribune :

— La parole est au Président des États-Unis pour la lecture de son message.

Debout contre un haut pupitre recouvert de bure verte, où il appuie un de ses coudes, le Président des États-Unis prononce :

— Messieurs du Congrès…

Et, désormais, il n’y a plus de vivant dans la salle que sa voix.

Le corps immobile, les yeux rivés à son papier, il dit les raisons « sérieuses, très sérieuses, » pour lesquelles il a dû convoquer l’Assemblée, et brosse un large tableau de l’œuvre criminelle perpétrée par l’Allemagne sur les mers, plus spécialement depuis la rupture du 3 février. Les mers : ce fut à leur propos, remarque-t-il, que naquit chez les civilisés la