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Congrès, le Président, le message : nous vivons dans le commerce idéal de Gaud Mével, de Sylvestre Moan, de Yann Gaos, — de Yann Gaos surtout, l’Islandais à la carrure épique, avec lequel je ne puis m’empêcher de songer que mon gigantesque interlocuteur a comme un air de famille…

Un retentissant coup de marteau nous arrache à ces poétiques rêveries. M. Dennison s’esquive en toute hâte, cependant que le speaker, dont l’organe sonore est bien en harmonie avec sa fonction, prévient en termes sacramentels l’assemblée que « le Sénat des États-Unis fait à la Chambre des Représentants la faveur de lui demander l’hospitalité. » En même temps que les quatre-vingt-seize sénateurs gagnent, par la travée médiane, les sièges qui leur ont été respectueusement cédés aux premiers rangs, une porte s’ouvre, à gauche de la tribune, sous le portrait de La Fayette, pour donner passage à des personnalités dont l’admission officielle dans l’enceinte du Congrès constitue une dérogation sans précédent à tous les usages. Ce sont d’abord les ambassadeurs des pays alliés et des pays neutres. Le nôtre, entre ses collègues d’Angleterre et de Russie, se distingue par l’exiguïté de sa taille. Mais comme il doit exulter à cette heure d’avoir mené à pareille fin sa grande, sa difficile tâche, ce petit Français impressionnable et vibrant, qui s’est imposé, au long de ces deux années de guerre, de comprimer d’autant plus étroitement sa nature que Bernstorff étalait plus insolemment la sienne ! Les critiques ne lui ont pas manqué. Que de fois n’al-je pas entendu nos compatriotes lui reprocher une attitude de discrétion outrée, sinon d’effacement total ! Ils l’accusaient d’être à Washington comme en pénitence, de ne pas se montrer, de ne pas se remuer et, non content de se taire pour son propre compte, de vouloir que chacun se tût avec lui. A eux de mesurer aujourd’hui de quelle juste compréhension de la psychologie américaine témoignait ce silence systématique, où il n’y avait pas moins d’habileté que de dignité : M. Jusserand ne pouvait souhaiter une plus belle revanche. C’est plaisir de voir le mouvement de vive et chaude sympathie par lequel son apparition est saluée dans notre entourage. Comme Mme Jusserand s’assied au même moment dans la loge diplomatique, près de Mme Wilson et de Mme Mac Adoo, la femme d’un « congressman » ne résiste pas au besoin de s’écrier avec une spontanéité charmante ;