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soleil jeune, riche déjà de santé cosmique, émerge des eaux de la Baie, comme un splendide adolescent qui sort du bain. Son apparition n’est, d’ailleurs, que de courte durée. Au moment de nous mettre en route, nous constatons qu’il s’est voilé d’argent ; mais, si éphémère qu’ait été son éclat, il a suffi pour tiédir le ciel. Dans la brise qui nous évente on sent la chaude fermentation d’une nature en travail, sans rien de l’acidité des saisons neuves sur les rivages de notre occident européen. A peine dévêtue de ses fourrures de neige, la terre américaine est mûre pour l’œuvre dévie. Ses printemps ont la soudaineté d’une explosion. Tandis que nous roulons à travers les campagnes mollement ondulées du Maryland, où les cultures alternent avec les bois, les feuillages naissants ont l’air d’éclore et de se multiplier au fur et à mesure sous nos yeux, comme si des milliers de mains invisibles les suspendaient, en courant, d’un arbre à l’autre. Par intervalles, le long de la voie, de petites négrillonnes, assises sous l’auvent de leur maison de planches, regardent sagement filer notre « car. » Nous sommes toute l’animation du paysage. Nul autre bruit que des chants d’oiseaux ; aucune activité humaine. On se croirait revenu à l’antique paix vierge du Nouveau Monde. Et cette Amérique printanière, uniquement absorbée, semblerait-il, dans le recueillement de. la gestation, se tait, en réalité, dans l’attente anxieuse du cri de guerre que s’apprête à pousser son chef !

Nous sommes sortis des grandes solitudes végétales. Aux sentes sylvestres ont succédé des amorces de rues. Le sol écorché exhibe de vastes plaies d’ocre rouge. Nous débouchons dans le District de Colombie qui forme autour de la capitale de l’Union une espèce de zone neutre. Et, tout de suite, on a l’impression qu’il flotte de l’inaccoutumé dans l’air. Pas un logis qui n’arbore son étendard. Les tramways suburbains qui nous croisent en sont pavoisés. Il y en a aux automobiles, il y en a aux bicyclettes. C’est là, sans doute, un genre de démonstration qui n’a, pour l’ordinaire, qu’une valeur assez banale dans un pays où, selon la remarque d’une de nos compagnes de voyage, on tire aussi facilement son drapeau que son mouchoir de poche. Mais, à cette heure, il n’en va pas de même : cette profusion d’emblèmes nationaux est l’expression réfléchie, concertée, d’un puissant état d’âme national. A l’intérieur de la ville, on ne se contente pas de les déployer aux fenêtres, on