Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans pour cela manquer de toute compréhension artistique. Et ils prouvent peut-être toutes les deux.

Enfin, le témoignage le plus décisif nous est fourni par les portraits des artistes qui n’ont pas voulu confier leur tête à un autre, mais ont pris le parti, pour l’avoir à leur gré, de la peindre eux-mêmes. Il faut les voir, aux Uffizi, par exemple, où, depuis des siècles, ils sont accumulés. Or, ils ne sont pas meilleurs que les portraits habituels de ces maîtres : la plupart du temps, ils sont moins bons. Pas un, chez les modernes tout au moins, n’a souligné fortement le caractère de sa propre physionomie. On peut se demander s’il l’a bien vu…

Il convient donc d’être philosophe, de se dire qu’on ne se connaît pas soi-même, que le peintre même le plus génial ne peut en révéler qu’une très faible part, et que, de ce témoignage incomplet et hâtif porté sur nous par le portraitiste ; nous ignorons si, dans l’avenir, il sera trouvé bon ou mauvais. Cela, simplement parce que nous ignorons quel sera le goût de nos descendants. Les attitudes et les mines sentimentales qui furent trouvées délicieuses jadis, nous les trouvons aujourd’hui ridicules. Quel verdict portera l’avenir sur bien des poses de la Gandara ou de Boldini ? D’ailleurs, la science physionomique naît à peine : elle balbutie ses premières remarques. Peut-être un jour sera-t-elle constituée et lira-t-on une foule de choses intéressantes dans nos portraits. Mais sont-ce les choses que nous y lisons nous-mêmes ? Tel est le point. A tous les égards, un portrait est une énigme, qu’il faut nous résigner à laisser résoudre à d’autres, quand nous ne serons plus là.


ROBERT DE LA SIZERANNE.