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troubler ses nerfs, pendant l’opération, non plus que du chirurgien. Abstenez-vous de convoquer à cette épreuve les personnes trop sensibles ; votre famille, vos amis, — l’ami surtout qui, dans les milieux mondains, tient l’emploi de dilettante, d’hypercritique et de dénicheur de raretés. Si le résultat, par bonheur, était satisfaisant pour tout le monde, il ne pourrait sauver la face qu’en le dénigrant. Tremblez qu’il ne décourage l’artiste. Tremblez encore s’il le loue ! Le rôle des amis en face du peintre, du modèle et du portrait, est si difficile ! On ne peut dire trop de bien du talent de l’interprète sans déprécier le sujet, ni trop de mal, sans faire injure à son goût et constater la faillite d’une aussi grave entreprise. Donner assez à l’un, sans frustrer l’autre, s’arrêter dans l’éloge au moment où il mettrait le peintre au premier plan et, dans la critique, au point précis où elle atteindrait le modèle, est un des plus périlleux exercices et des plus méritoires du pharisaïsme mondain. Epargnez-le à vos amis. En tout état de cause, s’ils forcent la porte de l’atelier et vous prodiguent, dans ces graves conjonctures, le trésor de leurs conseils et de leurs consolations, tenez-les pour fallacieux et nuisibles. Ne les écoutez pas.

Le principal objet de conflit entre le peintre et le modèle, c’est la ressemblance. Et il y a peu de chances qu’ils s’accordent car, en parlant de « ressemblance, « ils ne parlent pas de la même chose. » Le modèle demande que son portrait lui ressemble, mais en réalité il désire qu’il ressemble à l’idée qu’il se fait de lui-même, ce qui est tout différent. Et il arrive aussi, lorsqu’il est d’âge mûr, qu’il se revoie, de bonne foi, tel qu’il était bien des années auparavant et retrouve, en s’examinant dans la glace, des traces de jeunesse qu’un nouveau-venu est impuissant à découvrir. De même, nous apercevons, dans les dernières œuvres d’un peintre, que nous avons connu brillant, des restes de talent qu’un jeune critique n’y voit point, — peut-être, parce qu’ils ne persistent guère que dans notre souvenir…

Qu’est-ce donc que la « ressemblance ? » Dessiner ou « désigner » une physionomie, qu’est-ce ? C’est, proprement, rejeter de cette physionomie tout l’amas des traits qu’elle a en commun avec les autres et qui la confondent dans la foule, pour retenir seulement le trait ou les traits qu’elle a en particulier et qui l’en font sortir. Ainsi, dans un texte cryptographique,