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illogique et charmant, où des rideaux, des paons, des feuilles, des buissons, des draperies, des bras nus, s’élèvent et se recourbent en une cascade harmonieuse de lignes retombantes, et se rendormir pour les revoir. — Une autre vision bien réelle, celle-là, qui retient longtemps, comme un idéal de vie pastorale, aux bords les plus fortunés du monde antique, est celle que M. René Ménard appelle : le Pin Parasol. C’est l’éblouissement d’un beau soir chaud, lumineux et paisible, les rondeurs touffues et dures des pins, les torses violemment contractés des oliviers, le « long soupir de feuillage » qu’est le cyprès et la délicate ciselure des monts boisés à l’horizon, sous le jour frisant qui décline. On n’imagine pas une image plus parfaite d’une profonde, d’une féconde, d’une éternelle paix. Et ce n’est pas en regardant la fine et claire Annonciation, de M. Maurice Denis, où les apparences d’un ange et d’une vierge semblent des jeux de soleil sur une terrasse de Toscane ou d’Ombrie, qu’on s’éveillera de cette illusion.

Ainsi, les Salons, cette année, ne nous offrent aucune forte impression née de la guerre. Nous offrent-ils un effort nouveau dans l’ordre spécifique de la Peinture ? Pas davantage. Pourtant, au grand scandale de quelques-uns, ils contiennent pour la première fois quelques œuvres dites des « fauves. » Cette innovation n’est pas, hélas ! une renaissance. Pour renouveler l’Art, les « futuristes, » les « cubistes » ou les « fauves » ont toutes sortes de systèmes, qui peuvent se ramener à deux, d’ailleurs contradictoires : l’archaïsme et le scientifisme. L’archaïsme consiste à oublier tout ce qu’on a pu apprendre, en sculpture depuis les Primitifs de l’Orient ou depuis les Aztèques, en peinture depuis les Byzantins ; le scientifisme consiste à poursuivre la représentation de choses qui ne sont pas représentables, telles que le mouvement universel des objets les uns vers les autres, la succession des souvenirs ou des sensations, ou encore l’idée qu’on se fait d’un phénomène psychique. Dans l’un, l’Art exprime la Nature beaucoup moins qu’il le peut ; dans l’autre, il cherche à exprimer ce qu’il ne peut pas. Des deux tendances, c’est la première, seule, qui a pénétré dans les Salons : l’autre ne se voit qu’aux Indépendants ou au Salon d’Automne. L’archaïsme est une suite de notre admiration pour les Primitifs : le désir de se retremper aux sources fraîches de l’observation ingénue et de s’interdire les virtuosités devenues trop