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de la mâchoire. Un profil est par excellence une définition : une médaille est un profil. Je ne souhaiterais pas, aux monuments commémoratifs qu’on projette pour célébrer la victoire, d’autres bas-reliefs que ceux-là.

Ces monuments, jusqu’ici, n’apparaissent guère qu’à l’état de projets. Puissent-ils y rester longtemps et ne devenir des réalités irrémédiables qu’après avoir passé par l’épreuve de l’opinion publique ! Elle a quelque droit de se faire entendre dans un sujet qui la touche de si près et sur des œuvres qui joueront un si grand rôle dans l’aspect décoratif de nos villes. Quand on voit l’énorme effort qu’il faut, et sa longue inefficacité, pour nettoyer par exemple, la Cour d’honneur, à Versailles, des corps étrangers qui l’encombrent, sous couleur de « gloires nationales, » on frémit en pensant de quel poids pèsera sur l’avenir toute faute qu’on va commettre dans l’aménagement esthétique de nos « souvenirs. » — S’il faut du travail à nos sculpteurs, qu’on leur commande des bustes ! Les héros sont nombreux à commémorer ; la tâche du statuaire y est plus aisée, plus profitable pour lui et moins dangereuse pour la cité.

Autant qu’on en peut juger par les quelques projets exposés, nos sculpteurs, s’ils n’ont guère de génie, ont du moins échappé au périlleux paradoxe de l’égalité des costumes et des engins devant l’Art. Avec raison, ils suivent l’exemple de Rodin, qui haïssait le vêtement moderne. Ils nous font grâce des harnachements compliqués du « poilu, » de ses courroies, de ses mitrailleuses, de ses bidons et de ses musettes, choses infiniment pittoresques et bonnes pour le peintre, mais point plastiques et où tout le génie d’un Phidias eût échoué. M. Boucher dans les Vainqueurs, réédition guerrière du sportif Au But ! n’a conservé de l’accoutrement militaire moderne que le casque, c’est-à-dire exactement ce qu’aurait conservé un Grec. D’autres ont délibérément repris la vieille tradition des symboles et des allégories. Partout, l’on voit des coqs, des aigles, des tigres luttant ou triomphant. Au premier coup d’œil, on se croit dans une exposition d’animaliers. Je le dis sans ironie, car mieux vaut une belle forme animale, pour symboliser une idée, comme le firent si longtemps les Égyptiens, qu’une silhouette étriquée par les modes actuelles et embarrassée des engins de la vie moderne. Ainsi, M. Perrault-Harry, voulant dédier un monument « aux aviateurs, » tombés pour la patrie,