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frise d’un temple. Chez M. Flameng, une succession de troncs d’arbres, nus et lisses, coupés à mi-hauteur par le cadre, semblables à des fûts de colonnes, ajoutent à l’illusion. Et la brutale splendeur des épaules nues, la haute tige des cous, la dureté des profils, le faisceau puissant et souple des bras musclés, tout concourt à donner à ces joueurs de foot-ball ou de cricket, à ces boxeurs, devenus naturellement des soldats, l’aspect de guerriers antiques, — tout, jusqu’aux casques à bords plats, jetés sur leurs épaules, comme de minuscules boucliers. Assurément, une telle apparition n’est pas pour plaire aux vieux tenants de nos écoles réalistes. Un des dogmes du réalisme était que la vérité humaine et le caractère contemporain s’expriment uniquement par des tares, des bouffissures et des stigmates d’une vie anémiée. Mais les peuples anglo-saxons, sans aucun égard pour les dogmes du naturalisme, nous offrent tant d’exemples du contraire et ils occupent une telle place sur la planète, qu’il faut bien se résigner à voir réintégrer dans l’art quelques-uns des aspects de cette classique beauté qu’ils nous restituent dans la vie si magistralement.

Les « poilus » aussi, d’ailleurs, et c’est encore un aspect de force tranquille, d’assurance et de volonté que M. Leroux nous donne dans ses Vainqueurs, frise de silhouettes sombres sur un ciel orageux et lourd : vainqueurs fatigués, harassés par la lutte, pesant de tout leur poids sur la terre qu’ils viennent de défendre ou de reconquérir, mais debout, solides encore, dans la conscience de leur invincibilité. Ah ! nous sommes loin des palmes agitées et des danses du Retour de Salamine, des drapeaux envolés et des gestes larges de salut, du Fontenoy, d’Horace Vernet, ou de l’Austerlitz, de Gérard ! C’est, ici, le retour d’une lutte lente, dure, sanglante et qui recommencera demain. On lit, à livre ouvert, tout cela dans ces visages de paysans réfléchis, concentrés, stoïques, tout tendus dans le même sens, vers quelque chose qui est en dehors du tableau, hors de nous, qu’ils voient et que nous ne voyions pas : la victoire. Ce qui donne à toutes ces figures cette expression de volonté, commune et irréductible, c’est l’étrange parti qu’a pris M. Leroux, comme M. Flameng, de les acheminer toutes dans le même sens et de profil. Par-là, aussi, s’accentuait le caractère individuel. C’est dans le profil que s’accuse la charpente du visage : l’angle frontal et facial, la profondeur de l’arcade sourcilière, l’indice