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nombre de portraits de nos plus notoires contemporains par Mme Bonnat, Marcel Baschet, Chabas, Flameng, Cayron, Roll, Humbert, Denys Puech, Weerts et Wencker.

Le salon de la Triennale, installé sans doute par ironie à l’Ecole des Beaux-Arts, nous montre exactement l’Art que cette École n’enseigne pas et a même pour mission de proscrire. Une foule de petites expositions particulières, comme celle des « types militaires » de toutes les nations de M. Eugène Burnand, au Luxembourg, succédant aux admirables « poilus » de M. Le Blant, ou encore les cathédrales de M. P.-G. Rigaud, à la Galerie Georges Petit, achèvent de nous édifier sur l’activité de nos artistes pendant la guerre. En face du Salon, comme pour corroborer son témoignage ou servir, sur plus d’un point, de contre-épreuve, le Petit Palais a hospitalisé deux rétrospectives, d’un ragoût tout à fait savoureux : l’École espagnole moderne, à laquelle on a très heureusement adjoint Goya, qui l’annonce, la soutient et la cautionne ; puis Venise dans l’art italien du XVIIIe siècle, c’est-à-dire le décor des aventures de Casanova. Enfin, une exposition des artistes yougo-slaves, où l’on voit ce que sont devenues, entre les mains de leurs successeurs modernes, les semences déposées par les ancêtres aux murs de Zaoum, de Kalénitch ou de Nagoritcha. Comme un homme affamé par un long jeûne, la foule des amateurs se précipite sur tout ce qu’on lui offre, fût-ce les plus étranges nourritures. Tout regorge de tableaux. Le Parisien et l’Étranger, cette fois, s’y retrouvent : c’est bien la Paix et c’est le Printemps.


I

Ce l’est d’autant plus qu’il est tout à fait impossible d’apercevoir, dans l’image que l’art nous offre de la vie, la moindre trace d’un bouleversement mondial. Si quelque Nansen ou quelque Scott, retenu dans les banquises pendant cinq années, revenait visiter les Salons de 1919, il ne pourrait guère soupçonner que quelque événement considérable a, durant son absence, renouvelé l’âme humaine. L’intimité, la charité, la pitié, le goût des joies familiales et des paysages recueillis, les pèlerinages aux sites romanesques et silencieux, les ferveurs de la méditation et du rêve : voilà, comme aux Salons de 1914,