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et Eötvös avaient entrevu la nécessité d’accorder plus de liberté et plus de part dans le gouvernement aux peuples non Magyars : ils ne furent pas suivis. Mais le mouvement qui, dans toute l’Europe, rendait à toutes les nationalités conscience de leurs droits et de leurs forces, était trop puissant pour que la législation la plus restrictive réussit à l’étouffer. Les Magyars luttèrent désespérément ; ils savaient que le règne de la justice envers toutes les races marquerait la fin de la domination de leur race et de son grand rôle historique. Du côté de la Croatie surtout, le danger était pressant, car, derrière les Croates, grandissait l’Etat Serbe indépendant, et, d’une rive à l’autre de la Save, des mains se tendaient qui cherchaient à se rejoindre pour unir tous les Yougo-Slaves en un seul peuple. Il fallait donc, pour que la Hongrie pût continuer à tenir sous son joug les peuples non Magyars, en finir avec ce petit État ; après les guerres balkaniques et les victoires serbes, le péril était imminent. Le comte Tisza, d’accord avec l’Allemagne, jugea l’heure venue de déchaîner la grande guerre.

C’était la suprême partie : la Hongrie l’a perdue ; elle porte avec l’Allemagne le poids d’une terrible responsabilité. Elle a lutté jusqu’à la fin avec un aveuglement incoercible ; c’est à elle qu’est dû l’échec des tentatives de l’empereur Charles et de quelques hommes d’Etat autrichiens pour fédéraliser l’Empire dualiste. Elle demande aujourd’hui qu’on ne confonde pas le peuple Magyar avec le Gouvernement qui l’a conduit aux abîmes ; mais les peuples restent solidaires de leurs Gouvernements même déchus, et les Hongrois le sont d’autant plus qu’ils n’ont ni renversé, ni renié le leur avant la défaite, tardive sagesse, comparable à celle des Allemands, et dont il est impossible de savoir s’il faut l’attribuer au remords ou à la crainte de l’expiation. Si le mauvais coup avait réussi à l’Allemagne et à ses complices, on aurait vu les Hongrois opprimer allègrement les Serbes et les Roumains vaincus et acclamer les succès du comte Tisza. Est-ce que les Français, en 1870, n’ont pas cruellement payé les illusions de la politique, pourtant généreuse, de Napoléon III, quoiqu’ils aient renversé son trône avant que la partie fût définitivement perdue. Les Hongrois seront moins durement traités ; ils ne