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souhaité d’arracher au calme de Frohsdorf. Il serait paradoxal, que ces Styriens fussent associés, dans une même République impériale et unitaire, avec des Prussiens ou des Saxons : Allemands, soit, mais non pas « Boches ! » Ces peuples, dont les soldats se sont battus énergiquement contre les Russes et les Italiens, ne veulent être ni conquis ni absorbés, fût-ce par des Allemands. Ils tiennent à rester eux-mêmes, avec leurs voisins du Tyrol et d’Autriche, et nous n’avons pas de raison de les en empêcher. Ce sont d’honnêtes et fortes populations qui ne peuvent inspirer que respect et sympathie.

Vienne et sa grande banlieue renferment presque autant d’habitants agglomérés que les provinces dont nous venons de parler en comptent de dispersés dans leurs vallées alpestres. La nouvelle Autriche aura donc une tôle trop grosse pour son corps. Vienne était la Ville impériale, le grand creuset qui attirait pour les amalgamer toutes les populations de l’Empire. Il s’en faut que ses habitants soient de pur-sang allemand ; ils sont un mélange de toutes les races de la monarchie. Comme ouvriers, gens de métier, domestiques, fonctionnaires, les Slaves, les Hongrois, les Roumains, les Italiens, les Juifs ont colonisé Vienne ; un grand nombre ont été assimilés, mais on compte environ 300 000 Tchéco-Slovaques qui ont conservé leur langue et leur sentiment national, quoique le Gouvernement Impérial ne leur ait jamais permis d’avoir des écoles spéciales. De ce mélange résulte un type particulier où je ne sais quoi de plus gracieux et de plus élégant chez les femmes, de plus dégagé et de plus fin chez les hommes, décèle l’hérédité slave et même italienne. Ainsi Vienne, citadelle historique et avant-garde du germanisme, est, par le sang, à moitié slave. Le germanisme de Vienne s’est adapté à des mœurs plus simples et plus douces, plus naturellement démocratiques. Les écrivains viennois manquent généralement de profondeur, mais ils ont le coup d’œil finement observateur, le trait plaisant, la note tendre, le tempérament jovial ; ils manient même non sans grâce la fantaisie et l’ironie, filles ailées du génie celtique et méditerranéen.

Vienne est admirablement située, au point même où le Danube, sortant du système alpestre, pénètre dans la grande plaine de l’Europe centrale, « entre une Suisse et une Beauce ; » avec son grand fleuve qui constitue une magnifique voie