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achevé ; le sentiment national tchèque n’est pas seulement une force historique, c’est une force organique qui s’accroît en marchant. Pour le moment, la question capitale est la réunion en un seul État solidement constitué de tous les Tchèques et Slovaques et l’acquisition de bonnes frontières. Quand on regarde une carte ethnographique de l’Europe, la Bohême apparaît comme une presqu’île slave entourée de trois côtés par des populations allemandes, reliée seulement par un pédoncule étroit aux slaves de Pologne et de Russie. Dans cette situation hasardée, l’État tchèque doit être bien constitué, fort, et uniquement préoccupé du salut national ; les expériences sociales et l’isolement politique lui sont interdits.

Historiquement, depuis l’Empereur Charles IV qui proclama solennellement l’indivisibilité de la couronne de Bohème, trois pays en dépendent : la Bohème, la Moravie, la Silésie. Les Tchèques n’ont jamais cessé de revendiquer ce qu’ils appellent « le droit d’État de la Bohème ; » juridiquement, l’État tchèque n’a jamais cessé d’exister et d’être reconnu par les Habsbourg avec ces trois provinces : mais la Silésie, depuis les conquêtes de Frédéric II, est réduite à la partie dite « autrichienne. » Les Tchèques réclament aujourd’hui, pour constituer leur République, d’abord ces trois provinces. Mais, ici, quelques problèmes délicats se posent où il s’agit de concilier ce que le droit des États où leurs besoins vitaux peuvent avoir de contradictoire avec le droit des peuples rigoureusement entendu : c’est d’abord et surtout la question des Allemands.

D’après les statistiques officielles autrichiennes de 1910, il y a, dans les trois pays de la Couronne de Saint-Wenceslas, 3 millions 512 000 Allemands, dont 2 467 700 pour la Bohême, 719 400 pour la Moravie, et 325 500 pour la Silésie.

Remarquons d’abord que ces chiffres doivent être réduits ; dans les villes où dominent les Allemands, de nombreux Tchèques, employés, ouvriers, domestiques, intimidés par le fonctionnaire autrichien ou le patron allemand, se déclaraient de langue allemande ; mais déjà, la liberté aidant, on voit certaines villes se « tchéquiser ; » des essais de recensement municipaux ont été faits, et partout la proportion des Slaves a donné un chiffre supérieur aux statistiques anciennes. A Budweiss, par exemple, la statistique de 1910 donnait 40 pour 100 de Tchèques ; ils se trouvent aujourd’hui 65 pour 100. Le