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sa terrasse blanchie qui s’étalait sous la lune, parmi les cyprès noirs. Ils doublaient bientôt le dernier détour de la côte, lorsque, tout à coup, Sid El Haloui se sentit violemment tiré en arrière par un pan de son burnous. Une main de fer lui étreignait la nuque… Une main invisible et brutale, comme la main d’Azraël… En même temps, la lame d’un poignard lui troua les poumons…

Le coup fut terrible. Sid El Haloui chancela aussitôt. Une main sur sa poitrine, lâchant de l’autre la bride de son cheval, il tourna un instant sur lui-même, tel un Aïssaoua brusquement abasourdi, et, de tout son long, comme une masse, il alla s’effondrer contre le bord de la route. Il n’avait eu le temps ni de pousser une plainte, ni de reconnaître son meurtrier.

Les grands platanes du chemin et Saïd furent seuls témoins de la scène tragique. Ils virent un jeune caïd, son stylet ensanglanté au poing, exhaler un rire féroce, rouler des yeux bleus flamboyants d’ivresse, et s’enfuir en titubant vers la ville basse…

Saïd se pencha sur son maître, le flaira des pieds jusqu’à la tête. Étendu inerte, au pied d’un platane, dans l’ampleur lui- sante de ses burnous comme dans la soie d’un drapeau, Sid El Haloui paraissait raidi et fier, pareil à un vieux guerrier que la mort avait terrassé d’un coup, et qui ne s’était pas encore rendu… Mais lorsque le museau du cheval rencontra la chair du visage, déjà glacée par le froid cadavérique, il recula, épouvanté. La bête fit entendre dans la nuit un hennissement long, sinistre, et puis, reprenant le chemin, tête basse, elle rentra seule à la maison…


ELissa Rhaïs.