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représentant d’un mouvement qui se manifeste avec force dans les cercles des Zemstvos, et M. Milioukoff, dont l’influence est très grande dans tout le pays, et qui deviendrait le défenseur le plus énergique du ministère contre l’Extrême-Gauche. »

Le 8 juillet, après avoir terminé le rapport verbal sur les affaires extérieures, que je faisais une fois par semaine à l’Empereur au palais de Peterhof, j’abordai résolument le sujet de la situation intérieure de la Russie. L’Empereur m’écouta avec beaucoup de bienveillance, ne fit aucune difficulté de recevoir de mes mains le mémoire que j’apportais dans mon portefeuille et me promit de l’étudier attentivement. C’était déjà un point de gagné et je retournai en ville plein de l’espoir que le remarquable exposé rédigé par le prince Lvoff produirait l’effet voulu sur l’esprit de l’Empereur qui m’avait paru, d’une manière générale, animé d’intentions relativement conciliantes à l’égard de la Douma.

Quelques jours après la remise du mémoire, je fus appelé chez l’Empereur qui me dit l’avoir lu avec beaucoup d’intérêt et avoir été frappé par la force et la justesse de quelques-unes des considérations qu’il contenait. Je saisis aussitôt cette occasion pour développer, avec toute l’éloquence dont j’étais capable, les principaux points du mémoire et pour tâcher de convaincre l’Empereur de l’urgence qu’il y avait à les mettre en pratique en remplaçant le Cabinet de M. Goremykine par un ministère de coalition dans lequel seraient largement représentés les membres de la Douma et du Conseil de l’Empire. Je suppliai l’Empereur de faire un effort pour sortir du cercle étroit dans lequel il s’était confiné jusque-là pour le choix de ses ministres ; appartenant moi-même au milieu de la noblesse provinciale et des « Zemstvos, » je me portais garant de l’esprit de loyalisme dont il était animé, tandis que la bureaucratie mettait une barrière infranchissable entre le trône et le pays. « L’unique but, lui dis-je, que nous poursuivions, mes amis politiques et moi, est de raffermir le pouvoir dangereusement ébranlé par l’agitation révolutionnaire et par les erreurs commises par le Gouvernement. Ne craignez pas de nous témoigner votre confiance, même si nous vous paraissons imbus d’idées trop libérales ; rien n’assagit comme le pouvoir et ses responsabilités ; au cours de ma longue carrière diplomatique, j’ai vu dans les pays les plus divers et sous toutes les latitudes bien