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En réalité, loin de constituer un progrès au point de vue économique et social, le régime du « mir » maintenait et consacrait un état de choses qui n’était qu’un vestige des temps primitifs incompatible avec les exigences de la culture moderne, et rendait impossible tout développement de l’agriculture et toute amélioration du bien-être de la classe rurale. Dès les premières années du XXe siècle, la situation économique des paysans, qui n’avait fait qu’empirer sous le régime du « mir, » donnait lieu à de fréquents troubles agraires et inspirait de graves préoccupations au Gouvernement. Celui-ci la faisait étudier tant par des comités locaux que par une grande commission présidée d’abord par le comte Witte, et ensuite par M. Goremykine. Mais c’est en 1905, sous l’influence de plusieurs mauvaises récoltes, des revers de la guerre russo-japonaise et de l’agitation révolutionnaire qui s’en était suivie, que le mouvement agraire éclata avec force et, prit, dans certaines régions, le caractère et les dimensions d’une véritable jacquerie. Les revendications des paysans revêtaient naturellement une forme simpliste. Un demi-siècle auparavant, ils avaient reçu une partie des terres des grands propriétaires : s’ils souffraient aujourd’hui de la misère, c’est que ces terres n’étaient pas suffisantes, et pour y remédier il leur fallait le restant des propriétés de leurs anciens maîtres. C’était là un terrain particulièrement favorable à la propagande révolutionnaire qui ne trouvait les masses paysannes que trop disposées à s’approprier par la violence les terres convoitées. Le Gouvernement de son côté n’avait su que réprimer ce mouvement par la force et n’avait encore pris aucune mesure d’un ordre général pour résoudre la question. Il n’avait même pas songé à préparer pour le moment de l’ouverture de la Douma un projet de loi pouvant servir de base à la discussion qui devait s’y engager.

A défaut d’un projet de loi agraire émanant du Gouvernement, la Douma eut devant elle trois projets élaborés dans son propre milieu et renchérissant l’un sur l’autre par leurs tendances radicales ; tous les trois posaient nettement le principe de l’expropriation forcée des terres appartenant aux propriétaires. Le plus sérieux de ces trois projets était celui du parti Cadet ; il avait pour auteur M. Hertzenstein qui se trouvait par-là même désigné pour être le rapporteur de la commission