Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/511

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mes objections, que M. Stolypine fut seul parmi mes collègues à appuyer, furent écartées, et le 26 mai M. Goremykine se rendit en grande pompe et accompagné de tous les membres du Cabinet à la Douma pour y lire sa déclaration.

Ce premier contact entre le Gouvernement et l’Assemblée fut à tous les points de vue déplorable. A part même le contenu de la déclaration qui souleva l’indignation de la grande majorité de l’assistance, l’attitude hautaine et le ton dédaigneux affectés pendant la lecture par M. Goremykine blessa jusqu’à ceux des députés, octobristes et même conservateurs, qui s’étaient refusés à voter l’adresse. Sous le coup de cette impression, la Douma, outrepassant encore une fois les attributions qui lui étaient assignées par la charte de 1905 s’empressa de voter séance tenante et à une majorité de voix écrasante, un ordre du jour infligeant un blâme au Gouvernement et exigeant la démission du Cabinet de M. Goremykine et son remplacement par un ministère jouissant de la confiance de l’Assemblée.


LE GOUVERNEMENT CONTRE LA DOUMA

A partir de cette séance, les relations entre la Douma et le Gouvernement s’envenimèrent chaque jour davantage. Cela était dans la nature des choses et répondait entièrement à mes prévisions ; mais ce qu’il y eut d’absolument inattendu et de surprenant, ce fut la forme que prit la lutte entre M. Goremykine et la représentation nationale. Deux voies semblaient s’ouvrir devant le Gouvernement : essayer loyalement, et malgré les froissements de la première heure, de trouver un terrain d’entente et de collaboration avec la Douma ; ou bien lui rompre résolument en visière et prononcer immédiatement sa dissolution pour procéder à de nouvelles élections. J’étais, pour ma part, favorable à la première méthode, tout en ne me dissimulant pas que, vu la composition de la Douma et celle du Cabinet, elle avait peu de chances de réussir. J’aurais à la rigueur compris que M. Goremykine, imitant l’exemple donné par Bismarck en 1862 et 1863, procédât à un coup de force et renvoyât dans leurs foyers des députés rebelles à sa volonté. Mais M. Goremykine ne suivit ni l’une ni l’autre de ces deux voies : il adopta une attitude qui n’a, je crois, de précédent dans l’histoire d’aucun autre pays : il résolut tout simplement