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les conservateurs : ensemble ils ne comptaient guère plus d’une trentaine de membres. Enfin il n’y avait à la Douma que 17 socialistes qui n’avaient d’ailleurs pas été élus comme tels, car les deux partis ouvertement révolutionnaires, — les « socialistes-révolutionnaires » et les « socialistes-démocrates, » — s’étaient, abstenus de prendre part aux élections ; ces deux partis exigeaient la réunion d’une Constituante et le suffrage universel intégral et avaient déclaré boycotter une Douma issue de la charte de 1905. Les groupes nationaux-autonomistes, — polonais, lithuanien, esthonien, lette, groupe des provinces de l’Ouest, — comptaient ensemble 70 membres ; tous ces groupes avaient des tendances démocratiques, à l’exception du groupe polonais qui était plutôt conservateur, mais qui, pour des raisons nationales, se joignait aux autres pour faire opposition au Gouvernement. Enfin il y avait un certain nombre de députés « sans-parti » et d’indécis ; mais presque tous vinrent par la suite renforcer les rangs de l’opposition.

Ce qui donnait donc son caractère à la première Douma, c’était avant tout un bloc d’opposition comprenant plus de la moitié de ses membres ; ce bloc, composé de différents groupes, était entièrement dominé par les Cadets. Pour faire contrepoids à cette formidable opposition, il n’y avait dans la Douma aucun parti nettement conservateur, presque aucun groupe libéral modéré ; mais on voyait s’y dresser une masse, à l’aspect confus et amorphe, composée de 200 paysans : cette masse n’était diversifiée çà et là que par quelques prêtres de village, qui tranchaient à peine par leur extérieur et leur mentalité sur leurs compagnons cultivateurs.

L’introduction dans la Douma de cette masse paysanne avait été l’idée maîtresse du Gouvernement. Les élections avaient été réglées par la loi électorale dont l’auteur responsable était un bureaucrate médiocre, M. Boulyguine, mais qui avait été retouchée et complexée par le gouvernement du comte Witte. Elle était prodigieusement compliquée et artificielle et ne poursuivait qu’un seul but : favoriser la classe paysanne au détriment de toutes les autres classes du pays. Le Gouvernement avait cru par-là disposer à la Douma d’éléments réputés pour leur esprit conservateur, leurs sentiments de loyauté envers la personne du Tsar et leur docilité à la voix de l’autorité et de l’Église officielle. Jamais les bureaucrates qui dirigeaient les