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les nombreux membres des zemstvos qui en firent partie auraient peut-être su imposer à leurs collègues leurs habitudes de sobriété et de modération oratoires. On sait, d’autre part, combien la tribune incite l’orateur à des excès d’éloquence et à quel point ces excès agissent sur une jeune assemblée. Je crois ne pas me tromper en affirmant que l’usage de la tribune a puissamment servi à pousser au premier rang à la Douma de 1906 certaines personnalités aux tendances démagogiques, au détriment d’autres éléments plus sérieux et plus modérés.

Il est curieux de noter que c’est le gouvernement lui-même qui contribua à ce résultat. Avant l’ouverture de la Douma, il avait chargé un haut fonctionnaire, M. Trépoff (celui-là même qui, en 1917, fut, pendant quelques semaines, président du Conseil à la veille de la chute de la monarchie), de faire le tour des capitales européennes pour y étudier le fonctionnement des assemblées parlementaires. M. Trépoff rapporta de son voyage un projet tout prêt inspiré par ce qu’il avait observé à Paris et qui fut adopté en bloc par le gouvernement. L’idée si simple d’emprunter les formes en usage dans les zemstvos n’était pas venue aux bureaucrates russes ; ou plutôt, elle avait été écartée à cause de l’antagonisme invétéré de ceux-ci contre ces assemblées soupçonnées de tendances révolutionnaires. À cette occasion, comme, hélas ! bien souvent depuis, la bureaucratie russe a fait preuve d’une incompréhension absolue non seulement de la psychologie des assemblées représentatives, mais de l’esprit de la nation elle-même.


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Le choc entre le gouvernement bureaucratique et l’assemblée élue se produisit, — on le sait, — dès la première séance de la Douma et fut suivi d’.une série de conflits qui aboutit, après trois mois de lutte, à la dissolution de celle-ci ; mais, avant d’entreprendre le répit de ces vicissitudes, je voudrais fixer les traits des principaux adversaires qui se trouvaient, de part et d’autre, en présence.

J’essaierai, dans une autre partie de ce travail, de tracer, — tâche difficile entre toutes, — le portrait de l’empereur Nicolas II, figure centrale, mais dont les traits se présentaient sous des couleurs estompées. A côté de lui apparaissait au contraire, en pleine lumière, l’équipe des nouveaux ministres dont je