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Le discret avertissement contenu dans les derniers mots, particulièrement accentués par l’Empereur, n’empêcha pas les députés d’apprécier le fait que, pour la première fois, on entendait dans la bouche du souverain le mot de « Constitution. » En dépit de la bonne impression que produisit par ce discours, il ne fut suivi d’aucune acclamation ; mais cela pouvait à la rigueur s’expliquer par la gêne causée aux députés par une ambiance aussi inaccoutumée. Somme toute, l’avis général fut que la journée s’était très bien passée.


LES PREMIÈRES SÉANCES

Le même jour, les députés prenaient possession du palais de Tauride mis provisoirement à leur disposition par l’Empereur, en attendant qu’un édifice spécial fût bâti pour la Douma.

Le palais où se réunissait la première Assemblée représentative russe avait été construit par l’impératrice Catherine II, pour le célèbre Potemkine, « prince de la Tauride, » dans le style néo-classique introduit en Russie par l’architecte écossais Cameron, et qui a laissé son empreinte sur la plupart des grands édifices érigés à Saint-Pétersbourg à la fin du XVIIIe et au commencement du XIXe siècle. On sait à quel degré de puissance et de richesse la faveur de Catherine avait élevé Potemkine, surnommé, à l’instar de Laurent de Médicis, « le Magnifique. » Le Palais de Tauride, entouré de vastes jardins, avait été le théàtre des fêtes légendaires offertes par le fastueux favori à son impériale maîtresse ; plus tard, il servit pendant quelque temps de résidence à l’empereur Alexandre Ier ; mais, depuis plus d’un demi-siècle, il était presque complètement abandonné. Ses superbes salles, aux magnifiques rangées de colonnes, restaient vides ou étaient employées comme garde-meubles ; les communs du palais étaient habités par une foule de petits pensionnaires de la Cour, et les jardins, ouverts au public, servaient de lieu de promenade à la population du quartier. A l’époque de ma jeunesse, c’est-à-dire à la fin du règne de l’empereur Alexandre II et sous l’empereur Alexandre III, une partie de ces jardins était réservée en hiver à l’usage exclusif de la Cour ; on y installait, sur le lac congelé, une piste pour le patinage et des montagnes de glace, et, plusieurs fois par semaine, s’y réunissait une société composée des