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nécessité séculaire ne se prescrit pas par trente ans. Ne pouvant pas avoir le Rhin pour frontière politique, il nous fallait au moins l’avoir pour frontière stratégique. Il nous le fallait, il nous le faut; ou mieux, ce n’est pas à nous qu’il le faut, c’est à l’Europe, c’est à l’Occident, c’est au monde. Il le leur faut, s’il leur faut une paix qui dure.

Mais, principalement, le point faible est à l’endroit même où l’on nous invite à prendre notre appui ; dans l’alliance défensive qui nous est offerte. Supposons cette alliance conclue, et, ce qui est tout un, étant donnée la loyauté de nos alliés, supposons la observée et réalisée. Nous ne nions pas sa force d’intimidation, d’inhibition, de contrainte morale ; mais quelle armée aura demain la Grande-Bretagne, et de combien, de semaines aura besoin l’armée américaine pour arriver à notre aide? L’erreur des militaires eût été de ne compter que sur la frontière du Rhin : l’erreur des politiques a été de ne se confier qu’en l’alliance. Nous le répétons, la vraie formule n’était pas l’alliance ou la frontière militaire, mais l’alliance et la frontière militaire. Dieu merci, nous avons de grands amis qui sont de bons amis, et des amis sûrs qui sont de puissants amis. Nous aurons, éventuellement, le soutien de la fermeté anglo-saxonne. Nous nous en réjouissons, et nous y reposons comme de juste. Mais, tout en la mettant à son plus haut prix, comment oublierions-nous le vieil axiome de la sagesse latine, « qu’il vaut mieux fonder sa sécurité sur ce qui dépend de soi que sur ce qui dépend d’autrui? » La parfaite sagesse ordonnait même, dans la situation où nous laisse la guerre qui finit, en face et au contact d’une Allemagne en même temps désespérée et pleine de rancune, qui n’a plus qu’un tronçon d’épée, mais qui peut toujours en faire un couteau, de nous fonder à la fois sur ce qui dépend de nous et sur ce qui dépend d’autrui, en commençant par ce qui dépend de nous, et en nous y tenant inébranlablement.


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant : RENE DOUMIC.