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Danemark qui tenait les clefs de la Baltique, de vaincre l’Autriche et la France, rompant ainsi l’équilibre européen sans autre profit que d’entretenir quelques vaisseaux dans la Mer Noire. En favorisant la prédominance de la Prusse en Allemagne, les tsars avaient oublié le principe élémentaire de la politique qui consiste à empêcher les petits États qui vous entourent de devenir grands, et les grands de devenir encore plus grands.

Ces considérations n’étaient que trop fondées et les fautes qu’elles relèvent d’autant plus évidentes pour les Français que l’empereur Napoléon III en avait commis une non moins grave après Sadowa, en laissant la Prusse imposer à l’Autriche le traité de Prague. Alexandre III se rendait-il compte de celles de ses prédécesseurs et se proposait-il de les réparer ? Il est difficile de ne pas le croire, car plus on regarde à sa politique et plus on est entraîné à se convaincre, malgré les hésitations et les contradictions qu’elle présente, que c’est contre l’Allemagne qu’elle est dirigée et que, lorsqu’il s’alliera à la France, c’est parce qu’il voit en elle la seule collaboratrice capable de lui donner la force de se défendre contre les ambitions qu’il redoute, de maintenir la paix aussi longtemps qu’il le pourra et, s’il est contraint d’y renoncer, de friser la puissance malfaisante qui la trouble.

Mais ce ne sont encore là que des péripéties en perspective, des visions lointaines qui ne se réaliseront peut-être jamais. On les prévoit sans désespérer de les conjurer. L’année 1890 s’ouvre sous des auspices de paix. Bismarck est en disgrâce et après sa chute paraissent s’arrêter les efforts de l’Allemagne pour mettre la France et la Russie en défiance l’une de l’autre. Guillaume II paraît ne s’inquiéter que des progrès du socialisme et ne se préoccuper que des moyens de les combattre. La paix est tellement en l’air que les inventeurs et propagateurs de nouvelles alarmantes n’osent plus exercer leur métier.


ERNEST DAUDET.