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d’Allemagne allait passer sur la tête du jeune Guillaume qui devait être un jour l’artisan de la ruine de son empire. On prévoyait déjà que si, pour gouverner l’Allemagne, il ne s’inspirait que de lui-même, il attirerait sur elle des désastres ; mais on espérait que Bismarck, qui se flattait de posséder sa confiance, lui servirait de frein, au moins pendant les premières années de son règne ; et que, sous cette influence, il s’assagirait.

On voit à ce moment entrer en scène un autre personnage à qui l’avenir réservait, sous d’autres formes, un destin non moins tragique. C’était le futur Nicolas II. Il avait alors vingt ans et relégué jusqu’à ce jour dans l’ombre, sous l’uniforme de lieutenant dans la Garde par la volonté de ses parents, il apparaissait pour la première fois au grand jour sur la scène du monde. Son père l’avait envoyé à Berlin pour assister aux obsèques de l’Empereur défunt. Il s’y rencontra avec l’archiduc Rodolphe, héritier de la couronne d’Autriche, et qui devait lui aussi périr tragiquement. Les obscurités de l’avenir voilaient encore ces événements, et personne ne les prévoyait tels qu’ils se sont produits trente ans après. La présence du jeune Nicolas aux obsèques de l’Empereur défunt eut même pour effet de détendre les rapports difficultueux qui existaient entre Berlin et Saint-Pétersbourg ; on considérait qu’en dehors du désir d’Alexandre III de rendre à la mémoire du monarque qui disparaissait l’hommage qui lui était dû, le voyage à Berlin de l’héritier du trône de Russie témoignait que les lions d’étroite amitié et de confiance mutuelle qui unissaient de longue date les deux maisons régnantes et auxquels l’empereur Guillaume était resté fidèle jusqu’au bout, se maintiendraient non moins fermes sous son successeur. On racontait qu’au moment d’expirer, il avait dit à son petit-fils : « Montre-toi prévenant à l’égard de l’empereur de Russie, cela ne peut que faire du bien. »

Au mois de juillet, l’empereur Guillaume II vint rendre visite à Alexandre III et le remercier d’avoir envoyé son fils à Berlin pour le représenter aux obsèques. Il n’y avait là du reste qu’un témoignage de cordialité, sans portée politique ; Giers le reconnaissait, mais il ajoutait : « Nous devons y applaudir quand même, parce que l’empereur Alexandre dont les sympathies pour la France ne sont pas diminuées, serait mieux en mesure d’intervenir utilement si survenaient entre l’Allemagne