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Mais l’incident prouve tout au moins que, quelque désir qu’il eût de seconder la tâche de son ambassadeur, M. Flourens ne marchait qu’avec prudence dans la voie où s’engageait le gouvernement français. On en trouve d’ailleurs la preuve dans les précautions qu’il ne cessa de prendre pour empêcher le général Boulanger, ministre de la Guerre, de provoquer l’Allemagne par des démarches imprudentes.

Peut-être se rappellera-t-on que le général avait écrit en son nom personnel à l’empereur de Russie pour lui démontrer la nécessité d’un accord qui intimiderait le gouvernement de Berlin. M. Flourens en fut averti et, grâce à son intervention, la lettre ne partit pas, ce qui d’ailleurs, on doit le supposer, n’était pas pour déplaire au tsar Alexandre. Lorsqu’un peu plus tard, Boulanger, n’étant plus ministre, alla à Saint-Pétersbourg et fit demander une audience confidentielle à l’Empereur, celui-ci refusa de le recevoir seul.

« Qu’il se fasse présenter par son ambassadeur, » dit-il.

Mais ce n’est pas ce que voulait Boulanger. Il quitta la Russie sans avoir pu donner suite à son projet, qui consistait, il l’a avoué plus tard à quelques intimes, à ouvrir les yeux du Tsar sur les périls que faisait courir à la Russie la politique de Bismarck. Projet qui témoigne de l’ignorance en laquelle il était de l’état d’âme d’Alexandre III à cette époque.

Plus silencieux que communicatif, en même temps que, de plus en plus, il se détachait de l’Allemagne au point de vue politique, il affectait de redoubler d’attentions et de prévenances envers le vieux Guillaume et affectait de se réjouir d’être payé de retour. Entre les deux familles, la correspondance reste affectueuse et la situation se caractérise par un échange incessant de bons procédés. Laboulaye le constate, mais il ne s’en inquiète pas parce que, dans ses entrevues avec Giers et lorsque plus rarement, il est reçu par l’Empereur, il acquiert la conviction que les rapports de la France avec la Russie ne peuvent que s’améliorer et porter d’heureux fruits.


III

Au cours de ces incidents, une tentative criminelle mit à l’improviste la police de Saint-Pétersbourg sur les traces d’un complot. Des avis venus de Paris, de Londres, de Berlin et de