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contre son intransigeance. Telle avait été aussi l’opinion de Jomini, et ce qu’ils avaient dit, Giers, à son retour de Livadia, le confirmait. Il convenait donc de patienter et d’attendre que les circonstances devinssent plus favorables à un changement dans l’état d’âme du Tsar.

Il suffit d’évoquer ces souvenirs pour faire comprendre à travers quelles difficultés M. Ternaux-Compans eut alors à remplir sa mission. Il n’y trouvait que des motifs de déception et de découragement. Puisqu’il n’était pas parvenu à dissiper le mauvais effet des actes successifs qui avaient indisposé l’Empereur et à faire cesser l’isolement auquel la politique du gouvernement républicain condamnait la France[1], il ne voulut pas engager plus longtemps sa responsabilité ; il demanda à être relevé de ses fonctions, en déclarant toutefois qu’il entendait se retirer sans bruit pour ne pas ajouter aux embarras du moment.

La réponse qu’il reçut ne pouvait que lui prouver le peu de fondement de ses scrupules et de ses craintes, et qu’il était toujours en possession de la confiance de son ministre, lequel considérait ses services comme nécessaires. Non seulement on refusait de le rappeler, mais on lui laissait entendre que, s’il persistait dans son projet, il serait révoqué. C’était une mise en demeure à laquelle, quels que fussent ses regrets de quitter une carrière dans laquelle il servait depuis vingt ans, il répliqua en envoyant sa démission. Il emportait de Saint-Pétersbourg, outre l’estime de tous ceux qui l’avaient approché, voire l’amitié de quelques-uns d’entre eux, la certitude d’avoir rempli tout son devoir.

M. de Freycinet eut la main particulièrement heureuse en désignant pour le remplacer à Saint-Pétersbourg, comme chargé d’affaires, le comte d’Ormesson. Ce jeune diplomate, que sa naissance et ses mérites rendaient particulièrement digne de la mission qui lui était confiée, présentait le double avantage d’être sympathique aux chefs du parti républicain en souvenir de ses relations d’amitié avec Gambetta et de se recommander aux conservateurs par ses origines et ses alliances de famille. Nommé le 5 juillet, il parlait aussitôt pour Saint-Pétersbourg

  1. Il n’était pas seul à en gémir. Le comte de Saint-Vallier, à Berlin, le baron de Courcel, son successeur, le général Chanzy à Saint-Pétersbourg expriment la même opinion.