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Mais ni l’Angleterre, ni l’Autriche, ni la Prusse ne voulurent le suivre dans cette voie, et il dut se résigner à les imiter lorsque les trois gouvernements eurent décidé de continuer avec la monarchie de juillet les mêmes relations qu’avec les Bourbons de la branche aînée. Il ne le fit que contraint et forcé, et cette disposition se révéla pendant dix-huit ans dans ses rapports avec la famille d’Orléans.

Sans pousser aussi loin que lui le ressentiment et la rancune, Alexandre III n’oubliait pas les griefs de Nicolas Ier, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en toute autre circonstance, l’expulsion des princes l’eût laissé indifférent.

Mais, dans la loi qui les frappait, il voyait une preuve des tendances révolutionnaires des gouvernants français et de leur désir, résultat de leur faiblesse, de s’assurer une majorité dans le Parlement en se soumettant aux injonctions du groupe le plus avancé du parti républicain. Ce sentiment se trouve nettement affirmé dans une lettre venue de Saint-Pétersbourg et qui fut communiquée à cette époque à l’auteur de ce récit. Nous en détachons le passage suivant :

« La question de l’expulsion des Princes et les débats auxquels elle donne lieu dans la presse française ont ici beaucoup de retentissement…

« L’opinion moyenne russe ferait assez bon marché de la forme gouvernementale en France, pourvu que cette forme assurât à celle-ci une stabilité intérieure et une force capable d’offrir à la Russie le point d’appui qui lui manque pour se dérober aux nécessités d’une alliance austro-allemande. De même que cette opinion se réjouit de tout événement qui parait consolider en France l’autorité gouvernementale, de même, elle s’afflige et s’inquiète chaque fois que surgit une circonstance qui semble de nature à affaiblir le pouvoir et à le faire glisser entre les mains des radicaux. Chacun se rend compte de l’impression que cette mesure produira sur l’esprit de l’Empereur et redoute qu’elle n’accentue encore en lui son peu de goût pour le gouvernement de la République. »

Ces lignes ne reproduisent pas seulement les échos de la cour de Russie ; elles expriment aussi la pensée de l’Empereur lui-même, pensée que le souci de la vérité oblige l’historien à serrer de plus près. Il est rigoureusement vrai que les aspirations nationales de la Russie, les obstacles que suscitaient