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en Russie et n’y serait représentée que par des agents de second ordre. Il est vrai que la presse russe infligeait à ces dires un démenti formel.

C’était prédire à coup sûr. Quelque entêté que fût l’Empereur dans ses résolutions, il n’était pas homme à persévérer dans celle qu’il venait de prendre lorsqu’il aurait acquis la conviction qu’elle ne lui serait pas moins nuisible qu’à la France. Son ministre des Affaires étrangères, Giers, s’attachait à l’en convaincre. Il n’avait pas approuvé la décision impériale en un moment où son souverain était impuissant à empêcher l’union des Rouméliotes et des Bulgares et où l’Allemagne et l’Autriche, rendant plus étroite leur alliance, menaçaient la Russie de l’isoler en Europe aussi complètement que l’était la France. Ces deux pays avaient donc intérêt à se rapprocher et non à se diviser. C’est l’argument que faisait valoir le ministre russe dans ses entretiens avec l’Empereur et dans les confidences qu’il échangeait avec le chargé d’affaires de France, M. Ternaux-Compans, auquel avait été confiée, après le départ du général Appert, la direction de l’ambassade[1]. Giers ne pouvait marcher qu’avec une lenteur prudente dans la tâche qu’il avait entreprise. Il n’obtiendrait rien tant que durerait la mauvaise humeur du Tsar.

Elle s’aggrava tout à coup quand on apprit à Saint-Pétersbourg les mesures prises par le gouvernement de la République contre les princes d’Orléans. Ce n’est pas qu’Alexandre s’intéressât à leur sort. Avec plus d’injustice que d’équité, et bien qu’il n’en laissât rien paraître, il avait conservé à leur égard quelque chose de l’antipathie que son aïeul Nicolas Ier n’avait cessé de témoigner au roi Louis-Philippe.

On se rappelle par quels incidents elle se manifesta en 1830. Louis-Philippe n’était à ses yeux qu’un usurpateur contre lequel auraient dû se liguer les souverains signataires de la Sainte-Alliance de 1815, en refusant de le reconnaître comme roi des Français.

  1. Je dois rappeler ici que j’ai écrit en 1918 une Histoire de l’alliance franco-russe qui, depuis longtemps, n’existe plus en librairie. En vue de ce travail, j’avais reçu des communications confidentielles, voire certains documents destinés uniquement à me servir de guide et dont je m’étais engagé à ne rien publier. De là, dans mon ouvrage ; des lacunes volontaires que, plus libre aujourd’hui, je puis combler en utilisant les papiers confiés alors à ma discrétion.