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LA « LIBRE BELGIQUE. »

il séjourna dans cette retraite, sans revoir sa femme ou ses enfants.

Le courageux Père Dubar, la cheville ouvrière de toute l’affaire, fut arrêté à son tour, tandis que sautait la « poudrière » de la rue de l’Orge. On le jugea à Charleroi et on le condamna à douze ans de travaux forcés. Il fut bientôt rejoint en Allemagne par son aimable confrère le Père Paquet dont la plume alerte avait éclaboussé de ses phrases ironiques et frémissantes de colère la trogne des barbares.

Dans le genre gai, Albert Leroux et sa femme mystifièrent les Boches et se tirèrent avec adresse de leurs pattes. Quant aux filles de la générale Vauthier, cœurs chauds, âmes généreuses, elles furent à leur tour arrêtées et condamnées, comme beaucoup d’autres dont les noms se pressent sous ma plume, mais qu’il faut bien omettre pour ne pas abuser.

Dans la « cave automobile, » malgré la gravité de l’heure, on gardait le sourire.

À l’occasion du nouvel an, un loustic de la bande envoyait régulièrement le 31 décembre, au potentat de Berlin, un carton avec ces mots : « La Libre Belgique adresse, au roi de Prusse l’expression des sentiments qu’il devine. Cette année encore, elle lui servira un abonnement régulier, mais gratuit, étant donné l’état précaire des finances de l’Empire. »

Le gouverneur Bissing, — nous l’appelions Double-Singe, — était l’objet de la même attention. Et il le recevait son journal, ah ! oui, certes, comme le reçut jusqu’à la fin l’Excellence qui lui succéda, Falkenhausen, le vieux faucon. Une main mystérieuse réussissait, chaque fois qu’un numéro paraissait, à le déposer sur le bureau du gouverneur général qui ne décolérait pas !

Les coups d’audace n’étaient pas rares et Fidelis eut la joie acide de pouvoir, sept fois, aidé dans cette aventure par un charmant officier allié déguisé en Boche, pénétrer dans le cabinet du maître de la Belgique occupée, pour y enlever en quelques secondes des paperasses de quelque importance. Pour ces… vols-là, comme pour ceux de l’aviateur, on ne sait pas au juste où l’on va : on marche quand même. Ah ! la belle vie et s’il le faut, la belle mort !