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chambre d’un immeuble abandonné, dans un quartier peu fréquenté, à l’avenue Verte. L’atelier s’établit dans la salle de bains. À cent mètres de là, du côté opposé de l’avenue, se trouvait un poste allemand, la défense contre avions. Tout le poste venait se faire accommoder chez le concierge de l’immeuble, coiffeur de son état. On composait la Libre Belgique sur la tête de ces cinquante Boches. La composition était enfermée dans de petites boîtes à compartiments qu’on transportait à l’imprimerie où l’on tirait en vitesse, la nuit ou le matin très tôt. Le danger n’était qu’à moitié conjuré. Déjà une alerte avait forcé les conspirateurs à mettre en sûreté les caractères et le matériel de composition. La lutte était âpre entre les agents de la Kommandantur et les audacieux lutteurs de la Libre Belgique.

Le Père Dubar et Van Doren cherchèrent un local pour y installer une presse clandestine. Van Doren offrit un coin de sa fabrique de cartonnage, un vrai coin, puisque la salle du premier étage entrait en angle dans une propriété voisine. Cette propriété appartenait à un Allemand : il y avait des Allemands partout. C’est dans cette encoignure, dissimulée et calfeutrée avec des soins infinis, que Van Doren et un brave garçon nommé Plancade (qui mourut prisonnier en Allemagne) installèrent une machine après des péripéties sans nombre. Ils bâtirent un mur pour fermer cette cachette. Ils matelassèrent l’intérieur pour étouffer tout bruit, accumulèrent cent meubles au dehors pour camoufler le mur. On pénétrait dans ce réduit par le grenier, en se laissant glisser par une petite trappe. C’est dans ce trou qu’on imprimait.

Le petit journal paraissait en moyenne une fois par semaine. Souvent, à la grande joie des lecteurs, deux numéros se succédaient à quelques jours d’intervalle, surtout quand on sentait dans l’air de la tristesse succédant à une offensive de gaz moralement asphyxiants. Avec son rire, son ironie, ses violentes sorties contre un maître qui s’enorgueillissait d’avances successives, le pamphlet ranimait les âmes fléchissantes. Il faisait croire aux prochaines revanches, au succès final avec une assurance si complète que le public ne doutait plus.

Quand le journal était imprimé, ce n’était pas une petite affaire de transporter les ballots sans être inquiété par la police ou les soldats armés qui circulaient toujours et partout.