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surtout de drap bleu, en forme de redingote, qu’il mettait les jours de pluie. Pourtant le crédit annuel, consacré à l’entretien de ce prince si économe, est de 62 000 francs, autant pour la reine, 27 000 pour la princesse ; mais les livrées d’un nombreux personnel absorbent le plus clair de ces sommes.

Il en était de même à la cour de France, où 120 000 francs par an étaient prévus pour les trois sœurs de Louis XIII, tandis que la vicomtesse de Rohan et sa petite fille ne dépensaient que 11 000 francs. On ne saurait davantage faire état des folies d’un prodigue comme Cinq-Mars qui, dans la seule année 1640, trouva moyen de faire chez son tailleur, le sieur Tabouret, une note de 271 000 francs.

Cette « note », ou plutôt ce volume, car elle en a les dimensions, était peut-être, bien que minutieusement détaillée, assez artificieusement grossie ; les « parties » de l’illustre Tabouret ayant ceci de commun avec celles des apothicaires de son temps qu’elles étaient sujettes à réduction. Lorsque Gourville, en 1671, régla les affaires du prince de Condé, il était dû à ce même tailleur Tabouret une somme de 975 000 francs, intérêts compris. Sur cette facture la « façon » seule d’un habit de M. le prince était comptée 1 950 francs. Gourville régla le tout pour moins de 300 000 francs.

Quelque raisonnable que soit un courtisan qui veut faire figure et tenir son rang, la « magnificence des habits est une charge inévitable, nous confie le maréchal de Croy, à qui deux habits de cérémonie coûtent 15 000 francs (1747). Pour les fêtes du mariage du Dauphin avec Marie-Antoinette, « les particuliers se surpassèrent, dit le même personnage ; on n’a jamais vu de plus beaux costumes ; nous eûmes entre nous trois, avec ma femme et mon fils, pour 22 000 livres (48 400 francs) d’habits, et mon gendre (le duc d’Havre), avec sa femme, pour presque autant. Cela, ajoute-t-il, n’était guère philosophe pour un siècle qui se vantait de l’être, » et ne l’empêche pas de se payer encore pour 23 000 francs d’habillements cinq ans après, lors du sacre de Louis XVI.

Ces chiffres n’ont rien de surprenant puisque, sur un habit de gala, la part du maitre-brodeur est de 4 200 francs. C’était là, il est vrai, le plus gros chapitre : dans l’uniforme de chef d’escadre que M. de Balleroy paie 3 000 francs à Brest, en 1783, les broderies « au passé, » à 130 francs le mètre, absorbent