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avec sa cape et son espèce de surcot, ressemblait fort à Jeanne d’Arc. Néanmoins, la double et contradictoire tendance des créatures humaines à s’imiter les unes les autres et à se distinguer les unes des autres, sur quoi est fondé l’empire de la mode et d’où proviennent aussi ses variations, a régné jadis comme de nos jours dans toutes les classes : il n’est pas surprenant que les Anglaises élégantes, pour imiter la princesse de Galles, en 1380, aient introduit alors en Bretagne les manches pendantes et les corsets fendus sur les hanches ; mais il est plus curieux qu’à la même époque le goût des houppelandes à queues longues d’une aune (1 m. 18) contre lesquelles un concile lança ses censures, ait gagné les femmes du peuple et les servantes même, dont les robes traînantes garnies de fourrure étaient, dit un contemporain, « crottées par derrière autant que la queue d’une brebis. »

Au XVIIIe siècle, l’effort vers l’égalité dans le costume faisait que tout le monde portait les deuils de cour, jusqu’aux brigands de profession : Cartouche, le jour où il fut pris, était habillé de noir à cause du deuil de la grande-duchesse de Toscane, morte depuis quinze jours (1721).

Tout le monde aussi, sous Louis XV, portait la queue de cheveux poudrée. Le soldat la conservait, malgré la défense du maréchal de Saxe, dans les camps et à la guerre ; le décrotteur, qui cirait les souliers au coin du Pont-Neuf, le paysan, qui conduisait une voiture pleine de fumier, avaient leur queue pendante sur le dos. C’était là un ornement auquel l’un et l’autre consacraient beaucoup de temps et de peine, et dans l’exhibition duquel ils trouvaient une pleine satisfaction.

Une satisfaction plus difficile à obtenir était du moins souhaitée un jour par semaine, pour les costumes : « Le dimanche dans la rue, dit en 1784 une étrangère de passage à Paris, nous reconnûmes au milieu de la foule notre laitier, vêtu d’un habit à la mode, d’un gilet brodé, de culottes de soie et de manchettes de dentelles. Le lendemain, il avait repris son vêtement ordinaire. » Ces soieries, fussent-elles du « satin sur fil, » comme le mantelet à coqueluchon que la grisette de 1750 affirme lui coûter 8 francs le mètre « et à bien marchander encore, » ces soieries témoignent du même souci d’uniformité que celui du XVe siècle où, si l’on en croit du Clercq, « il n’était