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distribution des diplômes, c’est le visage embrasé d’une ferveur religieuse qu’ils s’avancent à l’appel de leur nom pour recevoir des mains du ministre le rouleau de parchemin noué d’un ruban rouge ou vert qui les sacre conducteurs d’hommes. Je les regarde défiler un à un. La diversité du type ethnique est saisissante. Mais le contre-amiral Eberlé disait vrai : que les yeux soient celles, anglo-saxons, slaves, une même âme s’y reflète, et cette âme est intensément américaine, virile et jeune tout à la fois, prête à l’acceptation radieuse des responsabilités les plus austères. Ces futurs Deweys n’ignorent pas qu’à cette minute critique leur pays n’a proprement que sa marine sur qui compter, qu’ils sont, par conséquent, son premier, son plus immédiat espoir. La fierté qu’ils en éprouvent a des façons, tour à tour ingénues et touchantes de se traduire. Dès qu’ils sont en possession de leurs diplômes, ils commencent par les brandir joyeusement, comme de grands enfants qu’ils sont, puis, rentrés à leur place, ils ne se cachent pas pour les baiser avec piété, comme de grands croyants qu’ils sont aussi : toute l’Amérique est dans ces deux gestes.

La veille des armes est close. Les « promus de Mars » se répandent par la ville avec leurs ordres de départ en poche sous pli cacheté. Au cours de la cérémonie, il n’a pas été fait d’allusion expresse à la guerre. Mais son haleine, en quelque sorte, est sur nous. Encore quatre jours, et des lèvres descellées du sphinx de la Maison Blanche jaillira le verbe fatidique qui doit la déchaîner. C’est lundi prochain, 2 avril, que le Congrès se réunit en session extraordinaire pour entendre le Président Wilson interpréter en anglais la parole célèbre de Tacite : Dedimus profecto grande patientiæ documentum.


A. LE BRAZ.