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saillant commentait à se dessiner, de façon à menacer Bazoches, nœud vital de leurs communications, leur péril serait grave. Le général Foch guettait le moment. Par son ordre, sur le flanc Ouest du saillant, l’armée Mangin, prolongée à droite par l’armée Dégoutte, s’appêtait. A la faveur des nuits, et sous le couvert des bois, de puissantes réserves d’infanterie accoururent. Une nombreuse artillerie de renforcement se massa en secret, et, sans exécuter des réglages, attendit. Et depuis des mois, quelque part, dans le parc d’un château mystérieux, enveloppé de forêts, nous avions préparé en grand secret l’organe français de la surprise, ces chars blindés légers dont les Allemands avaient é‘prouvé déjà en quelques rencontres, le 11 juin par exemple, le pouvoir de rupture et d’écrasement. Cette fois, c’est par groupes et par régiments qu’ils allaient évoluer en avant de nos vagues d’infanterie et remplir l’office des Sturmbataillone. Le 18 juillet, le coup prodigieux fut asséné : douze divisions ennemies culbutées, et, pour notre butin, 20 000 prisonniers, 400 canons. L’armée allemande aventurée au Sud de la Marne reflua vers la Vesle.

Deux ans plus tôt, devant Verdun, aux mois de mai et de juin 1916, nous avions enduré de l’ennemi les pires assauts, sans réagir, — par impuissance, semblait-il. De même aux mois de mai et de juin 1918 ; et qui ne voit l’analogie des deux situations ? Mais en 1916 préparant notre riposte de la Somme, en 1918 préparant notre riposte de la Marne, nous avions pareillement ménage, épargné nos forces, et voici qu’aujourd’hui comme en 1916, victorieux dans la défensive et victorieux dans la contre-offensive, nous venions de retourner à notre profit les conditions de la lutte, — ou tout au moins de rétablir l’équilibre. L’effort que l’Allemagne a déployé pendant quatre mois, — au prix 4e quelle usure ! — quand le renouvellera-t-elle ? Pourra-t-elle jamais reprendre l’initiative des opérations et retrouver « le fier privilège de l’offensive ? »


La supériorité du nombre, elle vient de la perdre, car, à sa grande stupeur, depuis plusieurs semaines, les Américains sont entrés dans la bataille. Quand, le 28 mars 1918, en un moment très sombre, les généraux Pershing et Bliss, accourus vers les chefs des armées alliées, leur avaient généreusement